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Sylvain Guillemot : “C’est en cuisine que ça se passe”



Interview / Vincent Braud * Photos / Yann Peucat pour Kostar Publié dans le magazine Kostar n°47 - octobre-novembre 2015

Lorsqu’ils s’installent à Noyal-sur-Vilaine, Sylvain et Marie-Pierre Guillemot n’ont pas idée du défi qu’ils vont relever : ouvrir un restaurant gastronomique dans un ancien routier. 20 ans plus tard, le chef évoque ce coup de folie. S’il a la tête dans les étoiles d’un guide, il n’en garde pas moins les pieds sur terre.

On dit souvent que la réussite est affaire de rencontres. Quels sont les chefs qui ont marqué votre parcours ?

Chacun dans sa posture m’a beaucoup apporté. Marc Tison tout d’abord, un chef de cuisine qui faisait son marché, qui était aussi têtu que je peux l’être avec mes équipes. Il avait cette capacité à s’enthousiasmer pour un produit, avec un plaisir enfantin, mais il pouvait aussi partir dans les tours (sic) si quelqu’un n’avait pas respecté le fruit du travail de l’homme.


Puis il y eut deux autres chefs…

Des chefs aussi charismatiques que lui, qui prenaient des options très personnelles. Un Jacques Thorel avec sa cuisine bourgeoise, ses jus, ses bouillons… Une cuisine très épurée dans l’approche, sans esbroufe. Alain Passard, lui, c’est la magie de quelqu’un qui connaît parfaitement les produits et qui, chaque saison, a cette capacité d’inventer quelque chose. Ma femme dit parfois : “Sylvain, lorsqu’un plat plaît aux clients, il le retire”… Je crois que je tiens ça de lui.


S’installer ici, il y a vingt ans, il fallait oser…

C’était complètement barré. On s’était rencontré à l’Arpège. On sort de notre bulle de salariés, le projet est colossal mais on ne se pose par trop de questions. Notre souci était de ne pas nous perdre… On n’avait pas un rond et les banques ne suivaient pas les restaurants gastronomiques… Nous n’avions pas les moyens de nous payer des mètres carrés en centre-ville. S’installer ici, ça nous obligeait à nous faire une place.

“On peut parler bien sûr mais c'est en cuisine que ça se passe...”

Avant la reconnaissance du Michelin, il se passe dix ans. Dix ans de galère ?

Non. Dix ans qui m’ont aidé à grandir. À ne pas devenir un cuisinier qui surjoue pour jouer dans la cour des grands. Si j’avais connu un succès plus rapide, je serais peut-être devenu exécrable et chiant. Un cuisinier, c’est intéressant quand il est dans sa cuisine. Un cuisinier qui commence à parler, à faire des plateaux télé, à se mettre en scène… On peut parler bien sûr mais c’est en cuisine que ça se passe.


La notoriété peut avoir des contraintes au risque de sacrifier sa liberté…

Un chef de cuisine ne peut pas tout se permettre mais il a le droit, le devoir peut-être de faire vivre et partager ses émotions. Dans une société parfois trop lisse ou standardisée, on peut jouer sur les oppositions, de vraies différences… On peut jouer sur l’acide, l’amer avec un vrai parti pris. Un repas c’est aussi une balade, un cheminement autour de produits, on n’est pas obligé de penser que la route sera droite et sans virage.


Revendiquer une cuisine de produits, ce n’est pas une tarte à la crème ?

La cuisine de produits aujourd’hui, ça ressemble fort au restaurant gastronomique d’il y a une vingtaine d’années. Tout restaurant se devait d’être gastronomique. La cuisine de produits est devenue une vraie mode. Encore faut-il savoir de quels produits on parle.


“La vraie cuisine de produits ramène le cuisinier à un terroir...”

C’est ce qui fait la différence ?

Une cuisine de produits, ce sont des hommes et des femmes qui sont derrière. Les producteurs dont je parle, ils sont, pour 90% d’entre eux, dans un rayon de 80-90km de chez moi. La vraie cuisine de produits ramène le cuisinier à un terroir… ce n’est pas le cuisinier qui se met en scène, c’est le réseau de ses producteurs autour de lui.


Ce lien avec les producteurs, ce n’est donc pas du marketing…

Je revendique une démarche impliquée économiquement pour ceux qui vivent de leur production et qui vont progresser avec nous. Ce sont eux qui font la carte. Un coup de chaud ou de froid et le produit que vous attendez n’est pas là. Le produit, l’origine du produit sont des marqueurs forts de cette cuisine. On peut voir derrière cette quête du bon produit, la revanche des ploucs. Car on s’est tout de même beaucoup moqué des paysans. Si ces producteurs vont bien, s’ils préservent la qualité de leur production, nous irons bien demain.


Le retour à la terre, c’est donc jouable aujourd’hui ?

Je suis petit-fils de paysans. Pour ma mère qui s’était arrachée à la condition très dure de ses parents et tenait un bistrot à Vern, voir son fils ouvrir un gastro, c’était Noël. Aujourd’hui, c’est mon fils qui fait des études pour retourner à la terre. Il y a quinze ans, je lui aurais dit “tu es fou”. Aujourd’hui, je lui dis “fonce” car il y a tellement besoin de gens pour produire bon.


“Je me dois de donner autant que j'ai reçu.”

L’auberge, c’est aussi la réussite d’un couple, non ?

Quand on s’installe ici, en 1995, je me dis que les gens vont naturellement venir pour ma cuisine. Je m’aperçois vite que la plus grande de mes forces, ce n’est pas ce que je fais en cuisine, c’est d’avoir une femme qui sait accueillir, qui sait accompagner, qui sait écouter les clients. Notre réussite, c’est un équilibre entre la cuisine et la salle. C’est la réussite d’un couple et d’une équipe.


Une équipe, c’est aussi une passion qu’on partage. La transmission, c’est important pour vous ?

Quand on a eu la chance d’être accompagné comme je l’ai été, je me dis que la plus belle reconnaissance, c’est que des jeunes partagent cette passion et qu’un jour ils la transmettent à d’autres. Je me dois de donner autant que j’ai reçu.


Et il vous reste un peu de temps pour être ambassadeur de la cuisine en Bretagne…

C’est la même trame. En prenant la présidence de Tables et saveurs, je me suis dit qu’un collectif comme celui-là était en mesure de valoriser non seulement ce que nous faisons mais les réseaux de producteurs qui nous entourent. Sans eux, il n’y aurait pas de “bien manger” en Bretagne. C’est ce que nous défendons dans cette association.


L’auberge du Pont d’Acigné, Noyal-sur-Vilaine (35)




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