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Phia Ménard : toujours en mouvement



Texte / Patrick Thibault * Photo / Éric Feferberg-AFP Publié dans le magazine Kostar n°82 - octobre-novembre 2022


C’est l’un des projets les plus enthousiasmants de l’automne. Les Enfants terribles, l’opéra de Philipp Glass d’après le roman de Jean Cocteau, mis en scène par la chorégraphe et performeuse Phia Ménard. Rencontre.


Pourquoi avoir accepté cette mise en scène des Enfants Terribles ?

À chaque proposition d’opéra qu’on me fait, la première question que je me pose, c’est quoi faire du livret. Quand j’ai écouté l’ouvrage de Philipp Glass, je l’ai trouvé très inspirant musicalement. Cette musique minimaliste a bercé mon imaginaire. Le livret, adapté de Cocteau, m’a intéressé par son sujet car il n’est pas tellement déconnecté du réel, ce qui est rare à l’opéra. Le roman de 1929 pose des problématiques diverses et toujours d’actualité, ce qui laisse un vrai espace pour l’imaginaire.


On aurait pu penser qu’en tant que chorégraphe, vous étiez intéressée par le fait que c’est un opéra chorégraphié…

Ça n’est pas tellement ça. Le fait qu’on ait trois pianos, un cast de quatre chanteurs, plus un narrateur, me donnait une sorte d’objet plutôt intéressant pour la chorégraphie même de l’œuvre. J’ai eu l’idée qu’on puisse avoir les musiciens sur le même plateau que les chanteurs. À sa création, la particularité de l’œuvre était une écriture chorégraphique. Avec moi, c’est l’ensemble de l’œuvre qui va danser. La scénographie va créer le mouvement et la chorégraphie.


Avec quel procédé ?

Tout simplement en agissant sur le sol, en faisant en sorte que les sols bougent et donnent du mouvement. Plutôt que chercher des chanteurs qui soient aussi d’excellents danseurs, je préfère trouver d’excellents chanteurs et un moyen de faire la chorégraphie par la scénographie.


“Avec moi, c'est l'ensemble de l'œuvre qui va danser.”

Qu’est-ce qui est toujours actuel dans cette histoire ?

À l’époque où Cocteau écrit ce roman, on ne parle pas d’homosexualité. C’est compliqué. Cet amour de Paul pour Dargelos est le sujet même du drame qui va nourrir l’œuvre. C’est l’aveu impossible d’aimer quelqu’un du même sexe, à tel point que Dargelos réapparaît sous les traits d’Agathe, une femme. C’est forcément un sujet qui me touche. Lorsque je lis l’œuvre, je regarde mes parents vieillir et des personnes de mon entourage. L’amour existe aussi chez les personnes âgées. J’aime l’idée qu’on puisse aimer passionnément jusqu’au bout même si on sait que la passion brûle.


S’agit-il de prolonger l’enfance ou l’amour ?

Prolonger l’amour qui d‘ailleurs permet de prolonger l’enfance. Le désir d’être aimé, c’est le désir de l’enfant. On le garde jusqu’au bout.


Qu’est-ce qui est le plus fascinant, le roman de Cocteau ou l’opéra de Philipp Glass ?

C’est musicalement magnifique dans le sens où on a vraiment un grand compositeur. Depuis le temps que je travaille sur le projet, je me dis que l’un et l’autre sont incroyables. Les deux tout aussi magnifiques. L’œuvre a été composée sur un chant en français mais la prosodie est néanmoins compliquée, ce qui oblige à intervenir.


De quel spectacle de Phia Ménard celui-ci est-il le plus proche ?

Aucun. C’est une nouvelle aventure, comme l’a été Et in Arcadia Ego, l’opéra que j’ai présenté à l’Opéra Comique. C’est un questionnement de la forme qui fait partie de mon travail. Le public qui me connaît sera surpris sans l’être, certainement dérouté à certains endroits. J’ai très envie que ça soit un endroit de beauté et de justesse.


“J'aime l'idée qu'on puisse aimer passionnément jusqu'au bout même si on sait que la passion brûle.”

C’est votre seconde mise en scène d’opéra, est-ce que vous allez continuer ?

Si on me le propose, je suis prête à étudier. Mais, à chaque fois, je me pose la question de la nécessité. Et si c’est ma nécessité, je peux donc la partager. L’opéra est une forme assez lointaine de la manière dont je travaille. La recherche se fait en amont et jamais au plateau. Je ne pourrais pas faire que ça.


Quimper pour la création, Rennes… mais pas Nantes, la ville de votre compagnie (Non Nova) ?

Ça n’est pas un projet de ma compagnie, je ne me mêle pas de la production. C’est un peu étrange qu’on n’ait pas trouvé l’occasion de produire cette pièce avec l’Opéra de Nantes. Mais peut-être aura-t-on la chance de voir cet opéra à Nantes plus tard.


Après la fin de la tournée de la Trilogie des contes immoraux (en juin 2023), quel sera le prochain spectacle ?

ART.13, une création pour la Biennale de la Danse de Lyon, en 2023. Tiago Guedes, nouveau directeur de La Maison de la danse, m’a retenue dans son cast d’artistes associés. C’est une pièce pour une interprète à qui je demande de détruire le socle d’une statue. L’article 13, c’est celui de la Déclaration des droits de l’homme, il sera donc question de la déconstruction, de la frontière. C’est métaphorique.


Les Enfants terribles, Théâtre de Cornouaille, Quimper, 8 et 9 novembre ; Opéra, Rennes, 14 au 20 novembre.



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