top of page
Rechercher

Mélanie & Anthony Rio, d'art d'art



Interview / Patrick Thibault * Portrait / Gildas Raffenel pour Kostar Photos Mabilais / Philippe Piron Publié dans le magazine Kostar n°38 - décembre 2013-janvier2014


Lui est l’architecte de la réhabilitation de la Mabilais, bâtiment emblématique des années 70 à Rennes. Elle, a géré l’installation artistique de Bruno Peinado qui envoie des signaux dans le ciel rennais depuis la Mabilais, parallèlement à son activité de galeriste à Nantes. Rencontre avec un couple de passionnés d’art.



Que représentait pour vous le bâtiment de la Mabilais ?

Anthony : Étudiant, quand je suis arrivé à Rennes, je me suis installé au pied de ce bâtiment. Il y a donc quelque chose de l’ordre de la psychanalyse. En y retournant, j’avais un rapport extrêmement affectif comme si je touchais un moment de ma propre histoire.


Quelle était la plus grande difficulté dans la réhabilitation ?

Anthony : La grande question des architectes – des bâtiments de France et de la Ville de Rennes – c’était l’antenne, le phare. Puisque l’art contemporain fait partie de notre vie avec Mélanie, j’ai eu l’idée de lancer une consultation internationale.

Mélanie : Il était impossible de détruire cette antenne tellement visible et présente dans la ville. Il fallait lui donner une autre symbolique.


Pourquoi Bruno Peinado a-t-il gagné ?

Mélanie : Sa proposition était très généreuse. Et c’était la meilleure réponse car il a pris toute l’histoire du bâtiment de Louis Arretche, tout l’univers des années 70, la SF, la BD. Il s’en est inspiré pour son œuvre. Bruno a ré-enchanté.

Anthony : Cette ouverture aux artistes, elle nous ressemble. Avec Mélanie, nous avons toujours l’envie de nous inscrire dans un territoire et de sortir des murs.


“On est en train de faire des sapins de noël architecturaux...”

C’est plutôt rare ce discours dans une époque où chacun joue plutôt perso…

Mélanie : Mais la galerie est à Nantes. L’art contemporain, ça n’est qu’un petit milieu. Je suis la seule galerie privée d’art contemporain. Je ne peux pas faire sans le FRAC, l’École des beaux-arts. Il faut que je regarde un peu ce que font les étudiants. J’ai besoin d’être reconnue à Nantes comme un acteur important. Jouer collectif va aussi nous aider pour redéployer notre projet sur l’île de Nantes.


Est-ce que vous avez eu peur du bâtiment à un moment ?

Anthony : Je n’ai pas peur au moment où on construit mais au moment où on donne le projet au public. Le projet final de la Mabilais, c’est mon premier croquis et pour moi c’est toujours celui qui compte. C’est pour ça que je retarde le plus possible ce moment-là. Il faut prendre le temps de la réflexion. Contrairement aux jeunes archis de l’agence qui modélisent avant de savoir comment ça marche.


Ça nous ramène à l’image en architecture ?

Anthony : C’est le problème aujourd’hui : les architectes sont d’abord de grands producteurs d’images de synthèse. La question, c’est comment on va séduire, et de manière vulgaire ? Comment on va rendre sexy un projet ? Je suis très gêné par ça. On est dans ce dispositif de séduction avant de regarder comment ça fonctionne.


Vous avez des exemples…

Anthony : Le FRAC à Rennes, ces images absolument fabuleuses d’Odile Decq. Et quand on regarde l’idiotie architecturale et la manière dont ça fonctionne, c’est vraiment la caricature de l’architecture d’aujourd’hui. Quand on arrive, on cherche l’entrée. Quand elle interdit les bornes wifi à l’intérieur parce qu’elles ne sont pas suffisamment esthétiques, quel fascisme ! En parallèle, je regarde l’approche de Jean-Claude Pondevie, le rapport qualité-prix est ce qui va faire qu’on réussira demain.


Ça nous ramène au FRAC, celui des Pays de la Loire…

Anthony : Absolument. C’est un immeuble modeste, intelligent et dans un coût modéré. L’école d’archi de Nantes, c’est un manifeste d’architecte qui a dit « j’en fais plus pour moins », mais c’est une catastrophe au niveau des coûts de fonctionnement et impossible à chauffer.


D’où l’importance de regarder les coûts de fonctionnement avec les coûts de construction…

Anthony : Tout à fait. Si on veut faire du développement durable, il faut savoir en quoi on en fait. Dans l’imaginaire collectif, le matériau le plus écolo, c’est le bois. Et le béton pas du tout. Alors que c’est exactement l’inverse. Les bois de construction sont traités. Ils ne sont pas recyclables alors que le béton est recyclable à l’infini. J’essaie d’avoir une vision claire et différente des choses. On est en train de faire des sapins de noël architecturaux. On récupère les eaux, on fait du photovoltaïque. Mais si le coût est largement supérieur, à quoi ça sert ?


“L'art ca n'est pas utile, c'est juste indispensable”

Ça n’est pas courant un architecte qui parle d’abord d’utilité…

Anthony : L’image ne doit pas être une obsession. Je suis fier du bâtiment qu’on a fait au Clos Toreau, à Nantes. J’ai dit aux gens du quartier que je voulais leur redonner de la dignité et on a fait ça dans une économie maîtrisée. Quand j’y retourne, il m’arrive d’être remercié par les gens. C’est un immeuble qui n’a absolument aucun tag. Il y a une vraie utilité de l’objet architectural. Être beau ou moche, ça n’est pas la question.


Comment fait-on pour se distinguer parmi les architectes d’aujourd’hui ?

Anthony : Je n’en sais rien, il faut être soi-même et avoir une histoire à raconter. Lacaton et Vassal ont peut-être raté l’école d’archi à Nantes mais leur travail est sublime au Palais de Tokyo. Il y a une vraie utilité, une vraie économie comme un coureur de fond. À côté, il y a le Musée des beaux-arts de Nantes. Je ne veux pas en parler. Ça va coûter une fortune, c’est juste complètement dingue.


Qu’est-ce qu’on apprend de l’architecture des années 70 ?

Anthony : L’utopie. Je suis encore scandalisé par la destruction du tripode de Parent sur l’île de Nantes. En plus l’argument, c’était l’amiante. Mais on a enlevé l’amiante avant de l’imploser. Pourquoi n’a-t-on pas eu le courage de garder un bâtiment intelligent de ce patrimoine là qui faisait référence à quelque chose de fort dans l’histoire. Surtout quand on voit ce que de Portzamparc a construit à la place.


Comment est-ce que vous vous êtes rencontrés ?

(Gros fou rire). Anthony : Dans un salon de l’immobilier. Pendant mes études, j’étais associé avec un archi et on faisait de la maison individuelle.

Mélanie : Moi j’étais étudiante et le week-end, je travaillais dans l’immobilier, ça n’a rien de très romantique.


Et qu’est-ce qui vous a réuni ?

Mélanie : L’intérêt pour l’architecture, l’art. On a passé du temps à faire les expos et à parler de tout ça.


Comment intervenez-vous dans le travail de l’autre ?

Mélanie : Moi je regarde les images justement. Anthony m’envoie des images. Et je gère ce qui est financier.


Et lui n’intervient pas sur l’art contemporain ?

Mélanie : Oh si. Très critique.

Anthony : 95 % des choses qu’on aime, on les aime en commun. Mais j’aime que l’art soit utile. Mélanie : Qu’est-ce que tu entends par utilité ? L’art, ça n’est pas utile, c’est juste indispensable.

Anthony : Oui, mais je déteste l’art marketing, j’aime qu’une œuvre ait un sens au-delà d’une valeur marchande. Mais on n’a plus le temps d’échanger.

Mélanie : C’est quand on voyage qu’on se décide. En Asie, et là on a le temps de discuter de là où on veut aller. Les projets naissent quand on arrive à s’extraire du quotidien.




Comments


bottom of page