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Mathieu Guibert : étoiles de mer



Interview / Vincent Braud * Photos Kristo pour Kostar Publié dans le magazine Kostar n°61 - été 2018


Au bord de la grande bleue, le Anne de Bretagne est tourné vers le large. Avec deux étoiles dans son ciel. C’est là que Mathieu Guibert a posé son sac. L’enfant prodige a grandi. Revenu au pays après un tour de France des grandes tables.

Ce goût pour la cuisine, il remonte à quand ?

Autant que je me souvienne, j’ai toujours eu le goût de la cuisine. Je pense qu’il y avait, dans la cuisine familiale, des odeurs, des parfums… Lorsque j’ai pu, je suis parti pour le Lycée Sainte-Anne de Saint-Nazaire.


Votre parcours, c’est un tour de France des grandes tables. Avec de grands chefs à leur tête. Quelles ont été les rencontres les plus marquantes ?

Elles ont toutes contribué à mon histoire, à ce que je suis aujourd’hui. Il y a eu d’abord Carcassonne puis l’épopée du Meurice aux côtés de Yannick Alléno. Tout semblait possible à l’époque. On ne parlait pas encore de crise. Au Pavillon Ledoyen, ce fut une nouvelle aventure. Toutes ces expériences ont été belles mais, à Paris, on peut aussi perdre pied.


Le Pays de Retz vous manquait ?

Non, d’ailleurs j’ai passé cinq belles années à Reims. J’y ai découvert une belle maison (ndlr Le Domaine des Crayères) mais aussi Philippe Mille. Un technicien remarquable avec ce côté humain qui, pour moi, est essentiel. Bien sûr, il y a un chef en cuisine mais c’est une équipe qui gagne. Comme lorsque je jouais dans le club de foot de La Plaine-Préfailles.


“C’est un travail de 38 ans qu’il faut saluer dans un métier où le relâchement est interdit.”

2016, c’est le retour au pays et la reprise d’une institution…

C’est le mot. Nous avons beaucoup discuté avec Philippe et Michèle Vételé. Depuis l’enfance, je connaissais leur maison. On allait au Anne de Bretagne, on n’allait pas déjeuner et dîner chez Philippe Vételé. Ils ont toujours considéré que l’institution était plus forte que leur nom. Et je partage cette analyse.


Reprendre une institution, c’est reprendre un cadre bien sûr mais aussi des habitués…

C’est vrai. J’ai beaucoup de respect pour cette maison. Vous vous rendez compte, un deux étoilés Michelin à La Plaine-sur-Mer en 2010… C’est le résultat d’un talent bien sûr mais aussi d’efforts quotidiens. C’est un travail de 38 ans qu’il faut saluer dans un métier où le relâchement est interdit.


Le Domaine des Crayères, c’est un monument en Champagne. Un château, des boiseries, des tapisseries… Le Anne de Bretagne, c’est très différent…

Il y a deux maisons, deux entités mais, en même temps, une identité assez proche. Leur insertion dans leur territoire et, sur le plan humain, quelque chose de très doux. Tous deux sont des Relais et Châteaux. Ils sont différents dans leur décor mais on peut aimer à la fois le Château de Versailles et le Centre Pompidou.


Quand on arrive à la barre d’une maison comme celle-ci, on a tout de même des envies ? D’abord il ne faut pas changer ce qui fonctionne. Philippe et Michèle Vételé m’ont en quelque sorte adoubé et j’espère qu’aujourd’hui ils sont fiers de moi. Je suis de cette région. J’ai envie de lui rendre ce qu’elle m’a donné. On sait d’où viennent les asperges et les légumes, le beurre et les fromages, les volailles qui sont à la carte…


“Les gens ne viennent pas au Anne de Bretagne pour les paillettes. Ils viennent pour être émerveillés.”

C’est pour céder à l’air du temps ?

Bocuse disait “il n’y a pas de grande cuisine sans grands produits”. Quand on est restaurateur, on est passeur. Le produit vient d’un maraîcher, d’un éleveur… Pour moi, c’est une question de cohérence. Je suis fils d’agriculteur. Je sais le juste prix des choses. Se fournir le plus souvent auprès des producteurs de la région, c’est soutenir une filière de qualité. Les gens ne viennent pas au Anne de Bretagne pour les paillettes. Ils viennent pour être émerveillés. Par le décor de la côte mais aussi pour le goût des produits que, parfois, ils redécouvrent.


Quelle serait la couleur de votre cuisine ?

La couleur des saisons avec de l’asperge et des framboises en ce moment. C’est aussi une cuisine qui respire l’air du large. Iodée bien sûr avec des langoustines, du turbot ou de la sole. Et puis, on peut aussi s’offrir une balade en semaine : entrée, plat, dessert pour 39 euros.


Le temps d’un dîner, on vous retrouve à Nantes en secret ou presque (*). C’est un dîner 4 étoiles ?

Nous en avons deux chacun (rire). Plus sérieusement, ce dîner, dans le cadre du Voyage à Nantes, c’est une façon de montrer ce que je fais à La Plaine-sur-Mer mais c’est aussi le plaisir de retrouver Philippe Mille… Tous deux, nous pensons que la gastronomie n’est pas réservée à une élite. On peut casser les codes sans renoncer à offrir le meilleur.


(*) Le lundi 2 juillet 2018, dans le cadre des dîners secrets, Mathieu Guibert et Philippe Mille sont les invités du Voyage à Nantes.


Anne de Bretagne, La Plaine-sur-Mer (44).


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