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Le moi dernier par Pierrick Sorin, épisode 87



Photos / Pierrick Sorin * Photomontage / Karine Pain Publié dans le magazine Kostar n°87 - octobre-novembre 2023


« À défaut du palais, l’œil est flatté par le jeu subtil des couleurs. » n Question cuisine, je suis archinul. Même les pâtes, je les rate. Pas la patience d’attendre que la casserole soit en ébullition, je les plonge dans l’eau tiède et dès qu’elle bout, j’entre moi-même en immersion dans des rêveries qui relèguent ma conscience en des trous noirs supra-cosmiques, où le temps se dilate, où les lois de la physique, même quantique, n’ont plus cours. Pour finir, les pâtes ne ressemblent plus à grand-chose, tout au plus à une bouillie aqueuse où surnagent quelques formes rappelant vaguement leur identité première.

Il faut dire qu’en tant qu’artiste, je bricole souvent avec des matériaux et des outils divers. Je crée des décors et des accessoires pour mes films. Je touille des mixtures plâtreuses, je coupe du bois et ponce des enduits. Si à la pause-repas, je dois encore tripoter de la farine et des manches de couteaux, trancher des oignons et râper des carottes, c’est comme si je reprenais du service ; c’est inacceptable ! J’opte donc pour des plats cuisinés, riches en additifs cancérigènes, ou pour des improvisations culinaires hasardeuses. Une seule doctrine me guide : faire vite et mal. À une époque, je faisais des “fruits-frits”. J’écrabouillais des poires, des pommes et des bananes que je faisais revenir à la poêle dans une flaque d’huile quelconque. Même avec une bonne dose de sel et de poivre, ce n’était pas très bon ; mais l’allitération – “paronomase” serait plus juste – contenue dans le nom de ma recette, les “fruits-frits”, nourrissait mon esprit d’une certaine jubilation et compensait un peu le désagrément gustatif.


“Question cuisine, je suis archinul. Même les pâtes, je les rate.”

Mes enfants profitaient parfois de mes trouvailles. Ils m’ont récemment avoué qu’ils gardaient un souvenir ému d’un plat de courgettes grillées nappées d’une crème glacée à la framboise… J’ai aussi expérimenté l’usage des sirops Teisseire : spaghettis bouillis au sirop de menthe, œufs brouillés sauce grenadine… J’admets que ce n’est pas de la “grande cuisine”, mais la qualité visuelle de ce type de mets est au rendez-vous. À défaut du palais, l’œil est flatté par le jeu subtil des couleurs. Et puis, parfois, je donne dans une certaine finesse. Tout récemment, je me suis fait un thé au jasmin que j’ai légèrement saupoudré de Ricoré. Le geste doit être souple, très “aérien”, c’est important. J’ai appelé ça : “théocafé”. Franchement, c’était délicieux. Je me suis même dit que si, un jour, j’étais las de créer des œuvres filmiques, je pourrais me faire embaucher dans un restaurant haut de gamme et novateur. Je travaillerais la subtilité des arômes tout en veillant à la beauté plastique de mes compositions. Certes, celui qui m’accorderait sa confiance prendrait un petit risque. Les amateurs de cuisine masochiste représentent une micro-niche ; c’est peu propice au développement commercial d’un établissement. Mais sait-on jamais : une imagination culinaire innocente et débridée est parfois source de miracles gustatifs… et économiques.



Courgette grillée nappée d’une crème glacée à la framboise.

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