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“Le moi dernier” par Pierrick Sorin, épisode 79





Janvier 2022 : cela fait maintenant quinze ans que mes petits récits sont ici publiés. L’histoire a commencé en 2006. Kostar était sur le point de naître. Un collaborateur du magazine m’a rendu visite : “… Vous pourriez raconter votre quotidien d’artiste, ce que vous avez fait le mois dernier… et illustrer vos textes avec des images toutes simples.” J’ai dit oui. Adolescent, j’écrivais des poèmes, j’avais envie d’être écrivain. Mais je désirais “faire du nouveau” et certains courants littéraires de l’après-guerre, le nouveau roman, le théâtre de l’absurde et plus particulièrement le lettrisme, me semblaient avoir épuisé toute possibilité en matière de nouveauté. Je me suis donc orienté vers l’image animée, domaine où les évolutions techniques me semblaient prometteuses de formes nouvelles et d’amusantes trouvailles. La proposition qui m’était faite faisait écho à cette ancienne envie d’écrire. À défaut d’être un grand écrivain novateur, revêtir le “costard” d’un honnête petit chroniqueur était une consolation honorable. Existe-t-il d’ailleurs quelque activité qui ne soit pas, au fond, consolatrice ? Vaste sujet… Bref, il fallait que je trouve un titre pour mes futures chroniques. L’homme que je venais de rencontrer m’avait incité à écrire sur moi et il avait par ailleurs utilisé l’expression : “le mois dernier”. Le titre qui me vint spontanément à l’esprit fut donc “Le moi dernier”, sans “s” à “mois”. Le jeu de mot était facile mais, en condensant l’idée du “moi” et celle du “mois”, il était assez adapté au projet. Quant au terme “dernier”, lui-même participait au jeu polysémique.


“On écrit, on crée, on agit, principalement pour être aimé.”

À côté de son sens temporel, il suggérait, avec un peu d’ironie, qu’en fin de compte et pour tout un chacun, l’ego est la valeur dernière, indépassable. Je veux dire que… Celui qui, par exemple, se sacrifie pour les autres, le fait sans doute, au bout du bout, pour être en accord avec sa conscience et satisfaire ainsi son moi. Et puis, c’était une manière de faire bonne figure : l’ironie du titre tend à montrer que j’ai conscience du caractère narcissique de cette entreprise d’écriture. La faute égotiste est ainsi avouée dans l’espoir qu’elle soit pardonnée et que je paraisse aimable aux regards des autres. On écrit, on crée, on agit, principalement pour être aimé. Cela dit, se raconter pour se faire aimer n’exclut pas qu’on le fasse avec un minimum d’altruisme et avec cette exigence : que nos paroles donnent quelque plaisir à qui les entend. J’ai sincèrement cette volonté. Un trait d’humour bien à-propos, une phrase qui invite à penser et dépasse le simple fait de se raconter, voilà qui fait que le lecteur n’est pas considéré comme un simple réceptacle mais comme un être intelligent et sensible.

Dominique A, qui ne fait pas que chanter, a écrit pas mal de récits autobiographiques, parfois de courtes chroniques pour des magazines. J’ai lu récemment son bouquin Ma vie en morceaux – titre polysémique, là aussi – où il associe ses souvenirs personnels aux morceaux musicaux ou chansons qu’il a créés. Dans ses textes, l’omniprésence du “je” effleure sans cesse la profondeur poétique de son regard ; au point que le moi s’efface, laissant exister un monde où l’on se plaît à dériver et, souvent, à se retrouver soi-même. “Je” devient un lieu de rencontre, celui de quelques consciences solitaires et parfois égarées. Parvenir à cela est tout ce que j’espère en poursuivant la rédaction de ces auto-chroniques…

Et sinon, comme je ne savais pas trop comment illustrer ce texte un peu abstrait, j’ai ressorti d’un fond de tiroir un recueil de poèmes que j’ai écrit à 17 ans. Le titre, “solipsis”, fait référence à la théorie du solipsisme qui pose l’hypothèse que rien n’existe – pas même l’ombre d’un lecteur – à l’extérieur de ma conscience. Les choses que je perçois ne sont que des représentations subjectives du monde qui se forment dans mon cerveau. Le “réel” n’est qu’un rêve. Un peu farfelu comme thèse mais elle invite à réfléchir. Adolescent, elle m’évoquait l’idée d’une absolue solitude.

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