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“Le moi dernier” par Pierrick Sorin, épisode 76


Texte et photo / Pierrick Sorin, B. Demenge * Photomontage / Garance Wester Publié dans le magazine Kostar n°76 - été 2021

Me voilà qui court dans la rue, à 4 heures du matin, la verge à l’air… Comment en suis-je arrivé là ?

C’est la fin juin. Il fait chaud, même la nuit. Avec ma copine, nous nous sommes couchés tard. Je me suis endormi rapidement, chargé de quelques verres. Brutalement, je suis tiré de mon sommeil : Karine vient de bondir hors du lit. Elle se précipite vers le salon. J’entends des bruits de pas, des paroles confuses : “Mais qu’est-ce que vous faites là !?” M’extrayant de la brume épaisse dans laquelle je flotte corps et âme, je comprends vite que d’indésirables visiteurs sont dans la place. Le pas mal assuré, je me dirige à mon tour vers le théâtre des opérations. Un théâtre d’ombres : le salon est baigné d’une lumière faible, lunaire, des silhouettes agitées se dessinent. Un type lâche le téléviseur qu’il vient de saisir, rejoint un acolyte. Pas de doute, ce sont bien deux cambrioleurs qui dévalent maintenant l’escalier, direction le hall d’entrée. À leurs trousses, un frêle fantôme dans sa nuisette nacrée : Karine, sans hésiter, les a pris en chasse. Je descends les marches avec un temps de retard. Déjà, la petite troupe sort de la maison. Je veux les suivre mais un troisième larron surgit d’un couloir, un type corpulent avec des petits yeux malins. En croisant son regard, je prends conscience d’un détail : je ne porte qu’un tee-shirt, trop court pour cacher mon sexe qui pendouille mollement. “J’pars en reportage !”, me lance le type avec un aplomb déconcertant. En effet, il a en main ma grosse caméra pro à 6000 balles. Surmontant ma gêne, je lui lance d’un ton presque paternel : “Ah non ! Pas la caméra !” À ma grande surprise, il me tend l’appareil. Une petite voix intérieure me dit : “Prends pas la caméra, tu auras les mains encombrées et il te collera une droite !” Mais je ne résiste pas à l’envie de récupérer mon cher outil de travail… Nouvelle surprise : le “grand reporter” me laisse prendre l’engin et s’enfuit… Cette fois, je suis dehors ; j’aperçois un petit groupe, à l’angle de la rue, près d’une voiture. Karine n’a pas encore été lynchée par les deux types. Je cours dans leur direction. Et là, tout va très vite.


“Me voilà qui court dans la rue, à 4 heures du matin, la verge à l'air... Comment en suis-je arrivé là ?”

Un des mecs donne une gifle un peu molle à ma copine, l’autre ouvre grand le coffre de la voiture et ils s’engouffrent dans le véhicule qui démarre en trombe. Le coffre est bourré de matériel ! Je reconnais l’écran 27 pouces de mon ordi qui se fait la malle. Le silence retombe. Nous voilà hébétés, au creux de la nuit, moitiés à poil. Je demande à Karine si elle n’a pas eu mal. “Non, dit-elle, la gifle, c’était pour m’empêcher de lire la plaque et ils ont ouvert le coffre pour la cacher.” Quelques heures plus tard, on est au commissariat. Dépôt de plainte. Le détail du coffre ouvert intéresse les flics : les modèles de voitures dont la plaque minéralogique est fixée au haillon sont assez rares ; ça peut faciliter l’identification du véhicule. En plus, Karine a réussi à mémoriser une partie de l’immatriculation… Deux jours plus tard, en allant acheter du pain, j’ai repéré la voiture. Son propriétaire avait eu la bonne idée de venir prendre un verre au bistrot du coin et de se garer dans ma rue ! Il a été rapidement serré par la maréchaussée et pour s’attirer la bienveillance des juges, il a dénoncé ses potes. J’ai pu récupérer mon matériel et on s’est tous retrouvés au tribunal. Le procureur a requis un an ferme pour nos visiteurs de la nuit. J’ai pris la parole pour signaler qu’ils avaient eu tout le loisir de tabasser ma copine mais qu’ils n’avaient finalement pas été violents. Le procureur ne trouvait pas ça trop normal que je prenne leur défense. Un an plus tard, avec Karine, on a de nouveau croisé les types dans notre quartier. Ils étaient sortis de tôle. Ils nous ont invités à boire un coup pour nous remercier de pas les avoir chargés. Ils nous ont raconté comment ils avaient forcé la porte de la maison, leurs allers-retours pour charger leur voiture alors qu’on dormait… C’était assez sympa. Parfois, de sales histoires ne finissent pas trop mal.

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