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“Le moi dernier” par Pierrick Sorin, épisode 71


Texte et photo / Pierrick Sorin * Photomontage / Karine Pain et Pierrick Sorin Publié dans le magazine Kostar n°71 - été 2020

Je rêve que je pénètre dans un vaste hangar. Des hommes, barbus, vêtus de toges blanches, certains pieds nus, d’autres en sandales, s’affairent autour de caisses d’où s'échappent des langues de papier-bulle. Certains accrochent des toiles sur les murs. On dirait les membres d’une secte mettant en place une exposition. Ici et là se dressent des sculptures : des écorchés, corps humains réalistes aux muscles et tripes à l'air, l’un dans la position du lanceur de javelot, l’autre dans celle d’un guitar hero. Sur une estrade, derrière une table rudimentaire, sont assis trois personnages. L’un à demi humain : de son costume sombre s’échappe, juchée sur un long cou, une tête d’autruche. Un autre, au centre, arbore une mine grave, cheveux gris visage carré, lunettes rectangulaires. Je le reconnais, c’est Michel Onfray, le médiatique “philosophe”. À côté de lui, un homme âgé, visage cadavérique, regard bleu acier, veste de cuir, un chapeau vissé sur la tête. Derrière ces trois-là, trônent deux tableaux. L’un représente un type, bouche occultée par une épaisse moustache, l'autre, un individu assis dans l’ouverture d’une énorme jarre, couchée sur le sol et qui lui sert d’abri. M’étant plongé depuis peu dans l’histoire de la philosophie, j’identifie tout de suite Nietzsche et Diogène, le cynique. En contre-bas, face à l’estrade, plusieurs personnes sont assises sur des bancs et ne semblent pas vraiment “à la noce”. L’une d’elles se tourne vers moi et me fais signe d’approcher. C’est Fabrice Hybert, un artiste. « Toi aussi, t’as été convoqué ? », me demande-t-il à voix basse. Je réponds, surpris : « Convoqué ? Je ne sais pas. Il se passe quoi ici ? » Fabrice baisse d’un ton : « Eh bien… On doit s’engager devant témoins à respecter un certain nombre de règles concernant la création… sinon on sera interdit d’exposition. » La voix sèche du cadavérique au chapeau nous interrompt : « Taisez-vous Mr Sorin, veuillez-vous asseoir là-bas ! » À l’annonce de mon nom, mon cœur palpite. Je me réveille…


“Taisez-vous Mr Sorin, veuillez-vous asseoir là-bas !”

La raison de ce rêve m’apparaît alors, évidente. Avant de m’endormir, j’ai lu un ouvrage d’Onfray : Manifeste pour un art cynique - “cynique”, au sens philosophique, renvoie à l’idée d’une attitude critique directe, voire provocatrice et un peu animale, à l’égard des conventions. Onfray dresse un bilan de l’évolution de l’art depuis Duchamp. Il cite un choix d’artistes dont les œuvres lui plaisent au point d’y associer les termes de “génial” ou de “sublime”, c’est le cas pour Maurizio Cattelan – d’où l’autruche du rêve – et de Gunther von Hagens, l’homme au chapeau. Cet “artiste” est un anatomiste qui utilise d’authentiques corps humains pour créer des sculptures et se faire des couilles en or – lesquelles pourraient joliment pendre dans les fameux WC en or de Cattelan. Je vous laisse vous documenter sur l’œuvre de von Hagens. C’est l’archétype idéal du mauvais goût… et si vous trouvez plus moche et plus ringard, chapeau ! Onfray propose encore de “faire le ménage” dans l’art, prônant une orientation nouvelle vers le communicationnel, le pédagogique, les “sujets intellectuels dignes de ce nom”. Au passage, il procède à l’exécution sommaire de certains artistes : Hybert, sans argumentation aucune et… Pierrick Sorin, agressivement, en citant une œuvre qu’il confond avec une autre mais surtout en fondant sa critique sur un contre-sens interprétatif d’une telle stupidité que le plus ignare des lycéens ne saurait l’égaler. J’apprécie Onfray pour nombre de ses passionnantes conférences philosophiques. Mais je vais quand même lui adresser un petit courrier concernant ses propositions, ses goûts douteux, ses critiques à mon sujet. En évitant les travers du “maître” : les œillères, l’agressivité, l’indigence argumentaire.

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