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“Le moi dernier” par Pierrick Sorin, épisode 59


Texte et photo / Pierrick Sorin * Photomontage / Charlie Mars Publié dans le magazine Kostar n°59 - février-mars 2018

Une armada de “men in black”, une bonne centaine de types bien bâtis, ont pris positions autour du sapin. Attendent-ils la venue du président Xi Jinping ? Non, juste quelques dizaines de VIP, une actrice très populaire et l’équipe directoriale d’une grande maison de luxe. Sur la Plaza 66, on inaugure ce rutilant “Christmas tree”, haut de 15 mètres. Dans l’atelier de fabrication où il se trouvait encore hier, il semblait immense. Planté au cœur de Shanghaï, au pied de buildings de plus de 60 étages, il rabat un peu son caquet. À la base de l’arbre, les invités s’agglutinent maintenant, devant de grosses boîtes rouges de belle facture, posées là, comme des cadeaux. Au travers de fenêtres, ils peuvent voir, dans les boîtes, des scénettes holographiques, poético-cocasses, en relation avec “l’univers de la marque”.

J’ai réalisé ces œuvres optiques avec une fidèle équipe de collaborateurs et deux comédiens nantais. On a finalisé les choses dans la banlieue de Shanghaï, dans les sous-sols poussiéreux et froids d’une entreprise où s’amoncelaient des rouleaux de tissus et des machines à coudre. Tous les matins, on était accueilli par les aboiements tonitruants d’un énorme clébard enfermé dans une cage d’acier. Il n’en sortait jamais, se vautrait dans ses excréments. C’est l’odeur, surtout, qui nous mettait du baume au cœur.

Sur la Plaza 66, on inaugure ce rutilant Christmas tree, haut de 15 mètres

On a travaillé dur, pendant 15 jours. Le soir, vers 22 heures, on se dépêchait de trouver un restaurant ouvert. Pour le meilleur, et parfois pour le pire, on commandait des plats, au hasard, en pointant du doigt les idéogrammes inscrits sur la carte. On buvait du vin de riz et on rigolait bien quand, harassés, on ne piquait pas du nez dans notre bol de soupe.

Maintenant, c’est bon : mission accomplie ; c’est l’heure du champagne et des congratulations. Tout le monde est content du résultat. J’aime particulièrement la scénette où un petit groom-hologramme pédale sur un étrange vélo, miniature, en volume, dont les roues tournent plus ou moins vite suivant le coup de pédale du personnage. L’énergie du cycliste actionne une machine musicale dont les ombres mécaniques s’affichent en fond de scène. Le son d’une boîte à musique pleurniche, au rythme des pédales, lui aussi…

Noël approche. Cette fête chrétienne est étrangère à la Chine mais la loi du grand commerce mondial s’arrange fort bien des écarts culturels. Quant à moi, ravi d’être payé pour faire le zouave dans le dépaysant “empire du milieu”, je laisse sous le tapis mes interrogations en matière de politique, de morale et d’acculturation.



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