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“Le moi dernier” par Pierrick Sorin, épisode 53


Texte et photo / Pierrick Sorin * Photomontage / Charlie Mars Publié dans le magazine Kostar n°53 - décembre 2016-janvier 2017

J’aimerais coller mon nez au plexi pour voir à quoi ressemble la Sardaigne, vue du ciel. Mais pour ça, je ne suis pas à la bonne place. Entre le hublot et moi, il y a la tête de ma voisine… et c’est pas rien. La dame, la cinquantaine, a une crinière de ouf, un volume au moins égal aux tignasses réunies des Jackson Five. De l’île italienne, je n’aperçois que quelques centimètres d’un ruban clair bordée de bleu : une plage, comme celle où nous étions hier avec Eric et Marco. Je viens de passer un mois à Cagliari avec, entre autres, trois Nantais. Sympa, la Sardaigne : 28 degrés à la mi-octobre, des gens cool, jolis paysages et des plages quasi désertes à cette période. On a remis sur pied un opéra que j’avais mis en scène il y a dix ans, à Parme : La Pietra del Paragone de Rossini. Le concept scénographique est celui que j’utilise systématiquement : le plateau scénique tout bleu, les chanteurs devant des caméras, des décors miniatures sur tables roulantes avec caméras embarquées et un grand écran où l’on voit, en temps réel, les chanteurs incrustés, immergés, dans les images des décors… Il y a aussi une tripotée de danseuses en combis bleues intégrales qui manipulent des objets pour créer des effets visuels. La prestance de Laura est particulièrement étonnante : unijambiste*, cette grande nana androgyne manipule à merveille un gros poisson rouge en latex. Sur grand écran, il virevolte autour d’un chanteur, lui-même incrusté dans un aquarium peuplé de vrais poissons.


“C’est un opéra, mais aussi une création filmique en direct, avec trucages à vue.”

Bref, c’est un opéra, mais aussi une création filmique en direct, avec trucages à vue. La première a eu lieu hier soir. Tout s’est bien passé. Après, le metteur en scène devient inutile. Il quitte le navire. Je me demande d’ailleurs si j’ai vraiment été utile dans cette affaire. Deux assistants, payés au lance-pierre, assuraient tout le boulot. Ils dirigeaient chanteurs, choristes et danseuses après avoir analysé au millimètre la captation vidéo d’une ancienne représentation…

18h30, aérogare de Nantes. Le carrousel à bagages se met en route et deux douaniers raboulent avec un petit clébard survolté. La bestiole grimpe sur les valises, saute en couinant de l’une à l'autre. Ma valise arrive, c’est l’apothéose ! Le chien la mord en tout sens, s’assoit dessus, glapit de plus belle. Je suis vert… je réalise qu’hier soir on a fêté la première chez un technicien de l’opéra qui avait transformé sa terrasse en serre à cannabis. Le type était attablé à côté de moi et il fumait pétard sur pétard. J’ai rangé mes fringues juste après qu’elles furent bien imprégnées du délicat fumet… Je me retrouve dans une salle adjacente avec deux types armés qui passent ma valise au peigne fin. Je complimente le toutou pour faire sentir que je suis total à l’aise dans mes baskets ; j'explique mon cas. Mais les choses se compliquent : un des types brandit une cagoule bleue avec juste deux trous pour les yeux… Elle était en rabe, je l’ai ramenée avec moi. Les questions pleuvent. Heureusement, j’ai la photo de l’unijambiste avec son poisson, dans mon Nikon… Le type note deux trois trucs dans un cahier et me fait un signe de tête : “C'est bon, vous pouvez y aller…” Sympa le retour.


* Bon, “l’unijambiste”, c’est un peu inventé. On lui a effacé une patte sur l’image… Faut bien accrocher un peu le lecteur.

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