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“Le moi dernier” par Pierrick Sorin, épisode 41


Photo / Pierrick Sorin * Montage / Charlie Mars Modèles / Arzu Dogan & Rodolphe Letourmy Publié dans le magazine Kostar n°41 - été 2014

« Écoute, ça m'embête un peu de te dire ça, mais… ton copain, là… (Kri-kri désigne un type fringué style "agent de la MATMUT", un sexagénaire avachi sur une chaise de jardin) Il est limite !… Il vient de mettre une main aux fesses à ma copine… et c'est la troisième fois en plus… – Ah mais c'est pas mon copain ! je réponds. Il est venu avec Coco… Je sais pas qui c’est. » Je me dirige vers Coco : « Dis, y’a un problème avec ton copain ! (Je parle fort parce que Miche-miche vient de monter le volume de mon Pioneer 7.1. L'étudiante en info-com se déhanche de plus belle, le voile léger de sa robe flotte au-dessus de ses genoux avec un bel effet de ralenti.) Coco ouvre des yeux ronds : – Ah mais je ne le connais pas, moi… c'est pas un ami à toi ? – Ben non, je rétorque. Il est venu ici avec toi, j'ai pas rêvé ! – Ah mais non ! reprend Coco. Quand je suis arrivée devant ta porte, il était déjà là. Il finissait de pisser sur ton mur… et juste quand tu m'as ouvert, il s'est approché et tu lui as souhaité la bienvenue… – Ah merde ! J'ai cru qu'il était avec toi… ». La petite quinzaine de fêtards réunis chez moi ont tous compris que l'agent de la Matmut n'était le pote de personne. Juste un type bourré, qui avait vu une porte s'ouvrir et qui, arborant un sourire jovial, avait emboité le pas à l’un de mes invités. Il a encore mis une main aux fesses, à Na-na, cette fois. Mais là il s'est fait incendier grave et il a quitté les lieux, la queue basse. Je l’ai rattrapé, juste pour qu’il me rende la perruque blonde platine qu’il venait de se mettre sur la tête.

“J'avais en effet le projet de mettre en scène, dans une vitrine parisienne, une étrange tapineuse aux allures de ladyboy.”

Au départ, j’avais pas sorti mes caisses de perruques pour que les gens s’amusent avec. Mais après que mon Aberlour 16 ans d’âge se fut évaporé comme par magie, certains ont trouvé très amusant d’aller piocher dans les tignasses. En début de soirée, c’est une Zubrowka bison qui avait été massacrée en quelques minutes. C’est d’ailleurs là que quelqu’un a dit que ce serait sympa qu’on s’appelle tous par des petits surnoms, comme “Caca” pour Caroline. Cette idée emporta l’adhésion du groupe, habituellement contraint à des comportements langagiers un peu moins primaires. Je devins moi-même “Pipi”. Et donc, j’avais sorti mes postiches car je voulais faire essayer une fausse barbe à Cha-cha, une jolie femme aux yeux de biche. J’avais en effet le projet de mettre en scène, dans une vitrine parisienne, une étrange tapineuse aux allures de ladyboy. Un hologramme, en vérité, à échelle humaine, histoire de créer un peu de confusion. On a essayé la barbe ; ça faisait son petit effet. Miche-miche, perruqué afro-cubain, quittait ses godasses. Il a dit qu’on allait me reprocher de copier Con-con (il parlait de Conchita Saucisson, “Wurst” en allemand, transexuel qui venait d’arracher haut la main la palme de l’Eurovision) et puis, il a sauté dans le bassin-douche, au fond de mon atelier, pour rejoindre l’étudiante qui exécutait une wet-dance. La cinquantaine passée, Miche-miche semblait décidé à profiter de ses restes de verdeur. Son statut d’écrivain médiatique lui permettait manifestement de pratiquer l’art du pelotage avec plus de réussite que l’agent de la Matmut. Vers 5 heures, la troupe a levé le camp. L’étudiante a dit qu’elle raccompagnait Miche-miche, vu que son hôtel était sur sa route et qu’il connaissait pas Nantes. La femme à barbe est restée… pour m’aider à rincer les verres. Sympa cette petite soirée.

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