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“Le moi dernier” par Pierrick Sorin, épisode 40


Texte et photo / Pierrick Sorin * Photomontage / Karine Pain Publié dans le magazine Kostar n°40 - avril-mai 2014

En 2014, pour la première fois depuis 20 ans, j’ai pensé que j’allais être “au chômage”. Pas de commande d’œuvre, pas de proposition de mise en scène… J’ai bien été appelé, il y a quelques mois, pour créer un spectacle à l’Opéra de Los Angeles… Mais j’ai mis des plombes à répondre. Mon interlocuteur a moyennement apprécié ce manque de célérité et la porte s’est refermée. C’est ballot ; c’est pas tous les jours que les Ricains lancent des perches à des créateurs français. Enfin… c’est comme ça.

Donc, je m’apprêtais à passer une année paisible. Au programme : embellissement de mon petit intérieur, recherches artistiques en mode décontracté… J’aurais fait l’expérience d’une petite vie d’artiste tranquille, exempte du stress de la copie à rendre. La promesse d’une certaine vacuité me plaisait… a priori. Mais une commande soudaine est tombée, une grosse. Et comme si, au fond, la peur du manque m’aiguillonnait, je me suis empressé d’exprimer ma motivation, multipliant les notes d’intention, griffonnant croquis sur croquis. Et me voilà avec une quarantaine de créations à produire : des installations, des performances vidéo… le tout, en quelques mois. C’est pour un “événement” relatif au commerce de l’horlogerie. Thème imposé : “le Temps et le Mouvement”.


“Moi qui parfois peine, un mois durant, à accoucher d’une idée convenable, je suis parvenu, en deux jours, à exprimer une bonne quinzaine de propositions.”

Pour peu original qu’il soit, ce thème a le mérite d’être ouvert et n’est en rien laborieux pour qui manipule l’image animée. Moi qui parfois peine, un mois durant, à accoucher d’une idée convenable, je suis parvenu, en deux jours, à exprimer une bonne quinzaine de propositions. Elles ne seront certes pas “marquantes”, elles ne changeront pas notre manière de voir le monde, mais elles comporteront, je pense, ce qu’il faut de poésie, d’inventivité et de spectacularité mesurée, pour marier tout à la fois une certaine “valeur artistique” et une fonctionnalité en adéquation avec les objectifs de l’événement.

Eh oui !… le travail de l’artiste ne relève pas que d’une forme d’inspiration “romantique” ; il peut aussi frayer avec l’esprit calculateur du publicitaire. Hier, j’ai testé un dispositif qui permet de faire apparaître, sur grand écran, des portraits de personnes dont les pupilles sont remplacées, en temps réel, par des cadrans de montres. Une “œuvre participative”, disons, qui invite le visiteur à jouer les modèles. Son intérêt artistique est à peine au niveau de l’imagerie surréaliste la plus convenue, mais c’est l’occasion de créer une animation conviviale, séduisante par sa technicité et qui satisfait les tendances narcissiques de tout un chacun.

Demain, je testerai une performance en solo : sur un tableau blanc, armé d’un feutre effaçable et d’un chiffon, j’écris “l’heure qu’il est”. Cadrés par une caméra, les chiffres que je trace, puis efface, seconde après seconde, pour suivre l'écoulement réel du temps, sont projetés sur un grand écran. Une sorte d’horloge manuelle… Il faut jouer du stylo et du chiffon avec hargne pour tenir le rythme. Je suis assisté par un type qui m’encourage et me fait sniffer de la coke. Je “dis l’heure” aidé par un “dealer”… Finalement, je vais être bien occupé. J’ai calculé qu’il me faudrait 4 000 heures de travail pour réaliser toutes ces “œuvres”. C’est pour fin septembre… C’est mathématiquement faisable en travaillant sans dormir pendant les 180 jours qui me séparent de la dead line… Autrement dit, je me suis encore mis dans la merde…

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