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“Le moi dernier” par Pierrick Sorin, épisode 38



Texte et photo / Pierrick Sorin * Photomontage / Karine Pain Publié dans le magazine Kostar n°38 - décembre 2013-janvier2014


Marseille. Grand soleil sur le Vieux-Port, tandis qu'en ce mois de novembre, nos villes de l'Ouest font grise mine. J'ai élu domicile dans la cité phocéenne pour une quinzaine de jours, le temps de mettre en place une exposition très « fournie » qui occupe environ 1 000 mètres carrés, dans divers espaces du Théâtre de la Criée. À l'exposition s'ajoutent des interventions de musiciens, avec lesquels j'ai eu l'occasion de collaborer, quelques représentations de 22H13, l'unique spectacle théâtral que j'ai créé, et une petite nouveauté : une sorte de « conférence » donnée par « deux universitaires nantais, fins connaisseurs de l'œuvre de Pierrick Sorin et qui ont récemment eu accès aux archives de jeunesse de l'artiste ». Ces archives sont constituées de bandes dessinées, de photos réalisées dès l'âge de neuf ans, de petits essais filmiques balbutiants, de poèmes d'adolescence…


“... ce photo-montage argentique de 1972, dans lequel je superposais à mon corps de pré-ado, le visage de ma grand-mère...”

Les « conférenciers » – interprétés par deux comédiens nantais, Nicolas Sansier et Patrice Boutin – établissent des liens entre ces « œuvres de jeunesse » et mes travaux plus « mûrs ». Ils mettent en lumière des thèmes ou des « questionnements intellectuels » récurrents, tentent de démontrer que l’artiste, contrairement à l'image de joyeux luron de l'art contemporain véhiculée par certains, est avant tout un être cérébral à tendances suicidaires, dont la névrose se manifeste en particulier par la réitération symbolique d'actes déjectionnels (crachats, défécation, éjaculation). Sur ce point, ils s'appuient sur l'exemple d'une bande dessinée de 1972 intitulée Un Dollar pour un Mollard : dans un « saloon », un cow-boy avale le contenu visqueux d'un crachoir avant de tout recracher au visage d'un de ses congénères. Sur la question du suicide, ils citent un poème extrait du recueil Solipsis (1977), dont la couverture montre un homme, nu et difforme, marchant douloureusement sur des lames de rasoir géantes.

Le petit fou, à la fenêtre

Las de n'être qu'un fou

Et chaque jour de naître fou

Se fout en l'air

Par la fou-naître

Leur discours est assez pertinent et l'authenticité effective des documents présentés confère à leur intervention un caractère sérieux qui surprend un peu le spectateur, lequel s'attendait plutôt à assister à une sorte de petit « spectacle ». Cependant, les constructions intellectuelles alambiquées, l'ironie presque méchante qu'ils expriment parfois à mon endroit, la multiplication de tics de comportements propres au conférencier un peu trop « à l'aise »… tout cela fait rapidement naître un doute quant à la crédibilité de ladite « conférence ». Elle devient alors un objet incertain, brouille les limites, provoque une désorientation assez jubilatoire. n Mais bon… cette « vraie-fausse conférence » est peut-être surtout un prétexte à présenter de vieilles photos argentiques, des « polaroïds » aux couleurs passées, des écrits dactylographiés à la Remington portative… Autant de documents qui distillent un charmant parfum de nostalgie et dont la naïveté, autant que la maladresse, incite à de tendres sourires. Tout comme ce texte n'est sans doute que prétexte à montrer ce photo-montage argentique (page de gauche) de 1972, dans lequel je superposais à mon corps de pré-ado, le visage de ma grand-mère…

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