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“Le moi dernier” par Pierrick Sorin, épisode 66


Texte et photos / Pierrick Sorin * Photomontage / Karine Pain Publié dans le magazine Kostar n°66 - été 2019


- J’irais bien voir “Hôtels et Faunes”…

- Hein ? Tu veux aller voir quoi sur ton téléphone ?

- J’ai pas dit “au téléphone”, j’ai dit “Hôtels-et-Faunes”…

- J’comprends rien à c’que tu racontes…

Le premier locuteur tend au second un magazine où sont cités les titres des différents événements du Voyage à Nantes…


Huit hôtels, huit créations : elles prennent librement en compte les spécificités de chaque établissement.

Ce genre de dialogue absurde peut survenir entre des personnes qui auraient l’intention d’aller voir les saynètes holographiques que j’installe dans des hôtels nantais. Huit hôtels, huit créations : elles prennent librement en compte les spécificités de chaque établissement, comme leurs noms, tout simplement.

Au Radisson Blu, un type boxe dans un gros radis-punching-ball. Quand il tape vraiment fort, le légume heurte une cible, une sonnerie se déclenche : le “radis sonne”, clignote, devient bleu… le jeu de mot est facile mais il engendre une situation visuelle originale. Au Voltaire-Opéra, un chanteur lyrique, affublé des attributs de l’auteur de Candide, chante sous sa douche. Le type, c’est un hologramme. La douche, l’eau, sont réelles. À l’hôtel Okko, un sportif de pacotille, passablement éméché, court sur un tapis motorisé, un vrai, enfin, un “vrai en miniature”, qui défile sous les pas mal assurés du coureur. Face à lui, un grand écran vidéo lui permet de visiter, virtuellement, quelques lieux culturels de la ville. Le travelling immersif, synchronisé aux mouvements du personnage, est assez chaotique. À l’Ibis, un amateur de bière et de pop-corn est en proie à quelques fantasmes : un oiseau géant, un ibis rouge, apparaît dans sa chambre, se métamorphose en dieu égyptien. À l’Hôtel de France, deux énergumènes se livrent à une performance chantée : “Va chez Breton, tonton. Chez Breton va, Vaché…” Encore un mauvais jeu de mot pour évoquer le surréalisme à la sauce nantaise. À L’Amiral, un gradé de la marine pète les plombs et tire au canon sur une pièce montée ! À l’hôtel L’Hôtel, un cuisinier fait sauter des crêpes avec une surprenante maestria. Au Duquesne, dans l’âtre d’une cheminée existante, un personnage du XVIIe met le feu à des bananes afin de réaliser une recette créative : bananes flambées au Curé nantais…


J’ai affublé mes personnages de cornes, de shorts poilus, de queues animales et de smartphones…


Communication oblige, j’ai donné un titre à cet ensemble de petits théâtres holographiques. J’ai pensé que la présence du mot “hôtel” s’imposait. J’ai répété en mon for intérieur “hôtel… hôtel…” et l’expression “hôtel et phone” a émergé. Comme je m’étais plongé dans la mythologie romaine, le “phone” est devenu “faune”, créature champêtre aux allures de satyre. Le titre, qui généralement découle de l’œuvre, a ici induit une modification des scénarios et des costumes initialement prévus. J’ai affublé mes personnages de cornes, de shorts poilus, de queues animales et de smartphones… J’ai trouvé intéressant qu’un titre, digne d’un piètre humoriste et frisant le mauvais goût, puisse opérer ce genre de renversement, que ce soit lui qui contraigne le récit. Les oulipiens eussent sans doute approuvé ma démarche, eux qui arguaient que la contrainte formelle stimulait l’imaginaire.

Quoi qu’il en soit, il n’est pas impossible que les quiproquos ou les dialogues absurdes engendrés par l’énoncé oral d’“Hôtels et Faunes" aient une fonction mnémonique, voire même qu’ils procèdent d’une forme de marketing viral. Les ratages communicationnels laissent des traces dans les esprits, deviennent des anecdotes que l’on raconte volontiers aux autres. Aurais-je été, pour une fois, un bon communicant ?


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