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Justin Weiler : Entrer dans la lumière



Interview / Patrick Thibault * Portrait / © Germain Herriau Publié dans le magazine Kostar n°87 - octobre-novembre 2023


Résident de la Casa Velázquez en 2020, Justin Weiler est à Nantes depuis 2011. Créateur de la Chambre 107 pour l’Hôtel de France, son installation en pans de verre Dédale, exposée à l’extérieur du Musée d’Arts, a fait l’unanimité. Et le voilà retenu pour une œuvre géante au Palais de l’Élysée.



Comment définis-tu ton travail ?

Je tente d’étirer le champ de la peinture jusqu’à ses extrémités : vers la sculpture, l’architecture et la photographie. Mes questions tournent autour de la peinture. J’en ai fait sept ans, j’ai décidé d’arrêter, de ne plus les montrer. J’avais besoin de me libérer de l’histoire de la peinture que je respectais presque trop et qui m’empêchait d’avancer.


Il y a cette obsession de l’espace et de la lumière…

C’est une suite logique, comme si je réglais tous les problèmes rencontrés dans la peinture à l’huile, le rapport à la lumière… Tout est venu quand je peignais à l’huile les plantes en vitrine. C’est l’espace que la plante prenait qui m’intéressait plus que la plante elle-même. En passant à la technique du lavis, les cadres viennent participer à l’œuvre. Et le verre vient rejouer la mise à distance avec le spectateur.


Les rideaux restent attachés à ton style…

Ça vient fermer l’espace entre l’extérieur et l’intérieur. Au Liban, j’ai été confronté à des rideaux de fer criblés de balles. Le lavis fonctionne par couches superposées et recrée le processus du temps. Les impacts, c’était une image un peu dramatique alors que la guerre était terminée. J’ai arrêté cette série qui permettait de garder la trace et la mémoire quand il y a eu les attentats de Paris. Ça devenait un fait divers, ce n’était pas mon propos.


C’est le passage à la période Operire

Oui, commencé au Blockaus, à Nantes. C’était la première fois que je pouvais créer une œuvre par rapport à un lieu. Operire signifie couvrir, recouvrir, cacher, dissimuler. C’est mon process pour créer la profondeur et cacher, dissimuler. Je rends visible ce qui cache, cette fenêtre opaque est une frustration du regard, on est toujours à l’extérieur. J’ai arrêté les rideaux de fer et je suis passé aux stores. D’où l’idée de peindre directement sur le verre.


“Je tente d'étirer le champ de la peinture jusqu'à ses extrémités”

Tu as fait ta réputation sur le noir, comment es-tu passé à la couleur ?

Mon travail, c’est étirer le champ de la peinture et la couleur est inhérente à la peinture. La couleur est une nouvelle manière de parler de lumière et d’espace. C’est venu de mon travail avec une superposition de noirs composée des 3 couleurs primaires. La couleur est née d’une absence d’une couleur. Je reviens à des gris colorés. Je ne note aucun de mes dosages alors ça n’est jamais le même gris. Il y a de plus magenta, de plus bleu. Après avoir abordé la couleur, je ne pouvais plus revenir au noir de la même manière.


Comment en es-tu arrivé au Mobilier National ?

En 2017, il y a eu l’exposition des diplômés aux Beaux-Arts de Paris où j’ai eu les félicitations du jury. Un peu de presse et l’exposition ¡Viva Villa! à la Collection Lambert à Avignon. Le directeur du Mobilier National a vu mon travail. Il m’a demandé de présenter des projets à la commission d’achats pour les tapis. Ils ont retenu trois œuvres de la série Dédale pour la réalisation de deux tapis et une tapisserie.


Qu’est-ce que ça représente d’entrer au Mobilier National ?

Je suis super fier. Travailler pour des institutions donne énormément de sens à ce qu’on produit et une légitimité aussi. Ce sont des œuvres qui entrent dans le patrimoine français, c’est donc inaliénable. Ce qui les intéressait, c’était aussi le côté technique : créer le même effet de profondeur dans mes tapisseries que dans les tableaux. Il y avait un challenge.


Et l’œuvre pour L’Élysée, c’est arrivé comment ?

Hervé Lemoine, directeur du Mobilier National, a vu l’œuvre au Musée d’arts de Nantes. À ce moment-là, la bibliothèque Napoléon III devait faire l'objet d'une restauration. Il a proposé mon travail pour occuper cet espace. Ensuite, tout s’est mis en place, étape par étape.


C’est aussi faire confiance à un jeune artiste pas encore très connu…

Oui en effet mais le Mobilier National pousse la jeune création. La table du conseil des ministres a été pensée par des étudiants de dernière année en école de design.


As-tu eu peur ?

Peur du premier rendez-vous, peur des premières esquisses, peur que ça ne se fasse plus. Et peur de la découverte de l’œuvre terminée et assemblée car je travaille les panneaux indépendamment à plat. Pour y arriver, il m’a fallu oublier qui était le commanditaire. Il fallait que j’ai le même geste que d’habitude. J’ai eu des peurs liées à mes angoisses d’artiste. Peur que ça ne soit pas la même densité de bleu sur les 14 panneaux peints à plat, que ce soit trop clair ou trop foncé. Mais l’exercice de l’œuvre au Musée de Nantes m’a beaucoup aidé.


“Quand je fais des dégradés pour une marque de luxe ou L'Élysée, c'est presque un rapport à la danse, quasi une forme de transe tout en étant à l'usine.”

Ta pratique semble de plus en plus physique…

Un rapport physique à ma propre corporalité. Les panneaux ne seront jamais plus larges qu’un mètre car c’est mon amplitude. Le geste est limité par mon propre corps. Ma mère était sportive de haut niveau et, quand je fais des dégradés pour une marque de luxe ou L’Élysée, c’est presque un rapport à la danse, quasi une forme de transe tout en étant à l’usine. J’essaie de créer de la transparence avec des peintures opaques. Je suis toujours à la limite.


C’est durable d’avoir ce rapport physique à l’œuvre ?

Je me résous à ce que quelqu’un vienne créer l’encadrement mais je suis proche de l’artisanat. Tout passe par moi. D’où le côté physique. S’il y a 60 formats, je les ferai. C’est ce qui fait la rareté. Dans 15 ans, je ne suis pas certain de le faire de la même manière. Mais on trouve toujours des solutions. Pierre Soulages, à 100 ans, continuait à peindre. Matisse, assis dans son lit, peignait sur les murs.


Tu dis douter mais de quoi précisément ?

D’absolument tout. C’est très personnel. Il y a plein de doutes possibles, c’est inhérent à l’art. À chaque nouveau défi, je me demande si je serai à la hauteur.


Ce projet pour La Maison Saint Laurent…

Une nouvelle chance d’avoir été retenu pour des œuvres présentées à l’international, simultanément dans 9 villes : Séoul, Tokyo, Londres, Paris, Los Angeles, New York, Hong-Kong, Milan et Dubaï. Je suis parti sur les paravents, la série s’appelle Screen. J’étais content de revenir au noir. C’est un jeu très formel avec l’espace. Des formes de paravents, parfois déconstruits, c’est à chaque fois une œuvre complètement différente avec le même système. J’arrive à m’amuser dans ces commandes qui restent libres.


“Si tu touches une seule personne, c'est gagné.”

Comment vois-tu l’avenir ?

J’ai envie et besoin de projets toujours un peu plus grands, de belles expositions dans les institutions. Aller à l’international ou faire des œuvres de la taille d’une façade.


Tu as fait tes études à Nantes, été prix de la Ville de Nantes et tu vas devoir partir…

Je suis à Nantes depuis 2011. J’ai été lauréat du prix de la Ville de Nantes. Ça m’a permis d’avoir l’atelier de Delrue qui a facilité un autre travail. Aujourd’hui, mon travail est plus précis. L’espace qu’on me donne influence ma pratique. Je pars à Paris pour avoir plus d’espace qu’à Nantes, c’est comme un exode inversé. Mais, c’est une nécessité : je suis arrivé au bout d’un cycle. Il faut que je bouge pour déconstruire mes marques.


Qu’est-ce qui te nourrit ?

L’atelier et les voyages. Heureusement qu’il y a des résidences. L’an passé, je me suis retrouvé face à moi-même en Gaspésie et ça a créé une rupture dans mon travail. Beyrouth, Chypre aussi. La déambulation dans la ville.


À chaque œuvre, quel est ton but ?

Mon but ? Créer de l’émotion. Je travaille de la même manière pour tout le monde. Ceux qui ne connaissent rien à l’art ont commencé à prendre les rideaux et stores en photo et me les envoyer. L’important, c’est de changer le regard des gens et amener de la poésie là où il n’y en a pas forcément. Si tu touches une seule personne, c’est gagné.


Comment garder la tête froide face au succès ?

La roue peut tourner, je suis plus exigeant avec moi-même qu’avant et je considère que je n’en suis qu’au tout début.




Dédale, 2023. Peinture sous verre feuilleté. 320 cm x 630 cm. Palais de l'Élysée. Photo © Laurent Blévennec

Dédale, 2022. Encre sous verre feuilleté. 280 cm x 100 cm x 100 cm x 60 cm. Musée d'arts de Nantes. Photo © S. Bogard

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