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Julia Kerninon, langue vivante



Interview / Arnaud Bénureau * Photo / Gregg Bréhin pour Kostar Publié dans le magazine Kostar n°40 - avril-mai 2014


Avec Buvard, la jeune femme vient de mettre critique et public d’accord. Julia Kerninon y fait se rencontrer avec brio une écrivaine sulfureuse, qui a décidé de vivre à l’écart du monde littéraire, et un jeune homme totalement accroc à son œuvre. La thésarde d’origine nantaise nous montre en 200 pages de quoi est fait un écrivain.


Lorsque nous nous sommes rencontrés pour la première fois, Buvard n’était pas encore sorti. Au regard de l’engouement critique, qu’est-ce que cela a changé dans votre vie ?

J’avais imaginé trois solutions. Soit, ça ne marchait pas du tout. Dans ce cas-là, c’était un peu triste. Soit, le livre marchait bien ; ce qui n’avait rien d’extraordinaire. Soit, il explosait tout. Aujourd’hui, nous sommes entre bien et ça explose tout. Cela signifie que je ne m’attendais pas à autant de presse. Mon éditeur, aussi. Tout d’un coup, vous avez plein de discours qui existent sur ce que vous avez fait. Normalement, la sortie d’un livre passe plus inaperçue. Et puis, il y a votre gueule qui apparaît à droite et à gauche. Vous devez répondre à toutes sortes de sollicitations. Ça prend du temps. Ça fait un mois et demi que je ne fais que ça.


Découvrez-vous un autre métier ? Celui d’écrivain en promo ?

Oui… Un peu. Après, les articles, je m’en fous car la plupart d’entre eux sont écrits sans que j’ai à intervenir. Par contre, il y a les réactions des gens et les rencontres en librairie. Et ça, c’est vraiment étrange.


Avez-vous peur d’être le phénomène littéraire ?

Non, du tout. Les phénomènes littéraires vendent 60 000 exemplaires de leur livre en une semaine. Ce n’est absolument pas mon cas. Buvard est reconnu comme un bon travail, mais je ne fais pas le tour des télés. Malgré tout, je trouve tout cela un peu bizarre. Il est difficile de savoir si l’on en parle trop ou pas assez. Et il est difficile d’évoquer un livre que vous avez écrit il y a un an et demi et que vous n’écrivez plus depuis. Du coup, vous êtes-là à parler de votre vie, de votre œuvre, de comment vous travaillez et combien c’est difficile ; alors que tout ce que vous faites, c’est prendre le train pour aller raconter tout ça.


Si l’on remonte le temps, qu’est-ce qui vous a motivé pour écrire Buvard ?

Ça fait longtemps que j’écris. La première version date d'il y a 6 ou 7 ans. Il était fini, mais il n’était pas bon. À cette époque, je n’étais pas assez maligne pour l’améliorer. J’ai donc attendu. Je l’ai terminé en cinq mois à Budapest. J’avais compris ce qu’il fallait faire pour l’améliorer.


Et que fallait-il faire ?

Il fallait ajouter le côté interview. Il fallait ajouter l’interlocuteur. Au début, seule Caroline parlait. Et puis, en tant qu’écrivain, j’avais grandi. Narrativement, je savais faire de nouvelles choses. Buvard avait alors une meilleure gueule qu’au départ où il ne s’agissait que d’un monologue mal dosé.


“Si ce que vous aimez le plus dans la vie, c'est de boire des coups avec vos potes ; alors vous montez un groupe de rock. Mais si vous avez très peur des gens, vous faites de la littérature.”

Éprouviez-vous le besoin d’être seule pour terminer Buvard ?

Non. Ce n’est pas d’écrire qui rend les gens solitaires. Ce sont les gens solitaires qui décident d’écrire. En fait, si ce que vous aimez le plus dans la vie, c’est de boire des coups avec vos potes ; alors vous montez un groupe de rock. Mais si vous avez très peur des gens, vous faites de la littérature. Théoriquement, vous n’aurez jamais besoin de personne pour vous filer un coup de main. Écrire, c’est un truc de personne sédentaire qui n’aime pas sortir.


Est-ce aussi de vous dont vous parlez ?

Oui, oui et oui. Je passe mes journées dans mon lit sans bouger d’un millimètre. Je prends un petit-déjeuner sans fin. J’adore ça et cela fait maintenant 7 ans que ça dure. Depuis que j’ai quitté la maison en fait.


Comment est né ce personnage de Caroline ?

Au début, je savais qu’elle était serveuse. C’est quelque chose qui m’avait intéressé lorsque j’étais serveuse moi-même. Personne ne savait que j’écrivais. C’était très intéressant d’avoir affaire à des clients qui pensaient être plus diplômés que moi.

Que vous inspirait ce rapport ?

Pour eux, vous êtes une petite meuf de 19 ans qui a été choisie pour la taille de son cul et qui est censée leur apporter des bières. Pourtant, j’ai un Master en littérature. Vous vous remettez alors en questions. Car vous avez passé tout votre temps à vous branler sur du Shakespeare et d’un coup, vous êtes à quatre pattes à nettoyer une poubelle à la javel. Il y avait donc quelque chose d’intéressant à raconter.


Écrire, c’est d’abord une histoire de style et de forme ; car tout a déjà été dit. Mais tout n’a pas encore été écrit.

Buvard s’inspire donc de votre expérience personnelle ?

Je ne peux pas faire confiance à mon imaginaire, sinon j’invente des choses pas possibles. Je suis donc obligée de savoir que ce que je raconte est possible. J’utilise donc des choses que je sais ou des choses pour lesquelles je sais que ça se passe ainsi. J’ai besoin d’être crédible. Mais je ne les raconte pas car c’est à moi que c’est arrivé. Qu’il s’agisse de moi ou non, on s’en fout. C’est juste que j’ai été témoin de choses et que je trouvais qu’elles étaient intéressantes à raconter. Après, je ne vis absolument pas comme Caroline.


Dans votre esprit, Buvard est-il toujours d’actualité ?

C’est l’intérêt des livres sur lesquels vous avez beaucoup travaillé. Je pense qu’aucun livre ne reste absolument parfait dans l’esprit de celui qui l’a écrit. Je sais les endroits dans Buvard où j’ai merdé. Malgré tout, j’ai travaillé longtemps dessus et j’en suis toujours très contente. Je pense que ça va durer un petit moment. Et puis, plus personnellement, Buvard est une cartographie de mes premières années d’adulte. J’ai commencé à l’écrire lorsque j’ai quitté la maison. Et depuis, je n’y suis plus revenu. Buvard recouvre plein de moments de ma vie.


Finalement, qu’est-ce cela signifie pour vous d’écrire ?

Construire les meilleures phrases possibles et dire mieux que l’on ne dit dans la vie courante. Écrire, c’est d’abord une histoire de style et de forme ; car tout a déjà été dit. Mais tout n’a pas encore été écrit. La base de la littérature, son origine, c’est la poésie et ses codes. Il est bon de s’en rappeler. Si je veux lire des histoires, j’achète Le Parisien. La littérature, c’est la quintessence de la formulation, le discours ciselé, sublimé, qui peut tout soutenir.


Julia Kerninon, Buvard (La brune au Rouergue).

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