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Julia Kerninon, la petite fille à la machine à écrire



Texte / Julie Haméon * Portrait / © Céline Nieszawer/Leextra/Éditions L’Iconoclaste Publié dans le magazine Kostar n°87 - octobre-novembre 2023


Loin de contribuer au fantasme romantique de l'écrivain incontrôlable, Julia Kerninon défend la notion de travail littéraire, un apprentissage qui ne s'arrête jamais.


Lorsqu'elle entre en CP, sa mère lui donne sa machine à écrire. Ce fût un temps son identité : elle est la petite fille qui écrit. «La taille des livres a grandi en même temps que je grandissais», raconte l'écrivaine. Du collège au lycée, elle produit un roman par an. Au fil du temps, le volume des pages tapées laisse place à la dentelle : elle passe désormais plus de temps à relire qu'à écrire. Elle découvre le travail, acharné. Elle part vivre à l'étranger, un moment. Puis reprend ses études de lettres jusqu'au doctorat, se donne du temps. C'est en 2014 qu'est publié son premier roman puis un second très différent, puis un récit, autobiographique. « Aussi stable qu'un tabouret à trois pieds », s'amuse l'autrice. Alterner les deux genres lui permet de « séparer les blancs des jaunes, de se déverser à un endroit pour ne pas le faire dans la fiction ».


“La frontière entre les livres et la vie est poreuse, les représentations qu'on y donne ont un impact.”

Aujourd'hui, son cinquième roman vient compléter le tableau de ses personnages fortes. Car oui ce sont des femmes mais non ce n'est pas « le » sujet. Les deux héroïnes de Liv Maria et Sauvage n'ont rien d'autre en commun, n'affrontent pas les mêmes enjeux. Aurait-on si peu d'exemples à citer qu'il faille en faire un genre en soi ? « C'est assez fascinant », lance-t-elle. Julia Kerninon cherche plutôt à « repenser la forme même du roman de la façon dont les femmes voient le monde : moins comme une aventure épique que comme un marathon ». Elle replace et revendique ses thèmes de prédilection : « Ce n'est pas la maternité mais la colère qui vient avec, ce n'est pas le couple mais la place du travail. » Ottavia, son héroïne, est un personnage transgressif : elle a de l'ambition, sait ce qu'elle veut, « à l'opposé d'une société qui dit aux femmes de s'occuper des autres d'abord ». Elle affronte des disputes de couple «inversées», cultive des relations masculines « sans être dans la séduction, ni désespérée ». Convaincue que « la frontière entre les livres et la vie est poreuse, que les représentations qu'on y donne ont un impact », l'écrivaine propose une tentative de raconter comment cohabiter autrement. Sans doute, d'ailleurs, plus proche de la réalité que les romans à l'eau de rose de maman.

Si – comme elle l'appuie dans son essai – le chaos ne produit pas de chef-d’œuvre, son goût pour le labeur réfléchi semble bien, lui, porter ses fruits.


Dernières sorties : nouveau roman Sauvage sorti le 17 août aux éditions L'iconoclaste ; Toucher la terre ferme réédité en poche le 24 août dans la collection Proche ; Yoko Ono : une monographie poétique à sortir le 5 octobre chez Iconopop.

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