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Jacques Gamblin, acteur de haut niveau


Interview / Arnaud Bénureau * Photo / Jonathan Sirch Publié dans le magazine Kostar n°41 - été 2014


En cette veille de long week-end, Le Théâtre de Saint-Nazaire affiche complet. Pendant que Nosfell et le performeur Anne-James Chaton bossent, le danseur Bastien Lefèvre et Jacques Gamblin sont en pause déjeuner. À Saint-Nazaire, le double messieurs crée 1 heure 23’ 14’’ et 7 centièmes. Alors que cet été se présente en crampons, Jacques Gamblin évoque les rapports entre sport et comédie.


1 heure 23’ 14’’ et 7 centièmes. À quoi correspond cette durée ?

D’après vous, à quoi peut-elle correspondre ?


Aucune idée…

Alors, beaucoup de gens se poseront également la question. J’aime bien cette énigme.


Avez-vous la réponse ?

Oui. En tous les cas, cette durée évoque quelque chose de précis. Et lorsque c’est précis, ça raconte quelque chose.


Et notamment ici, les rapports entre un coach et un sportif de haut niveau. Y a-t-il des correspondances entre le sport et votre métier ?

Elles sont dans la recherche du geste juste, dans la préparation, dans la recherche aussi d’une certaine forme d’efficacité, sur la pression… Il y a des correspondances entre des loges et un vestiaire. L’acte de jouer mobilise une respiration, des muscles. Il faudrait un jour que l’on dresse une liste des correspondances qui existent entre les deux disciplines.


On parle d’un sportif de haut niveau, mais jamais d’acteur de haut niveau…

Les César, Les Molières, ils distribuent quand même des médailles. Il y a un podium au sommet duquel on retrouve le meilleur acteur. On l’appelle comme ça.


“Un acteur qui serait meilleur qu’un autre, c’est d’une folle étrangeté.”

Justement, au Festival du film de Berlin en 2002, vous recevez l’Ours d’argent du meilleur acteur pour Laissez-passer de Bertrand Tavernier et êtes donc en haut du podium…

J’ai toujours trouvé ça un tout petit peu suspect.


Pourquoi suspect ?

Le mec qui gagne le 100 mètres, c’est mathématique. C’est un temps. Alors qu’un acteur qui serait meilleur qu’un autre, c’est d’une folle étrangeté.


Cette récompense vient malgré tout valider un travail…

Bien sûr que c’est une reconnaissance. Je ne vais pas cracher dans la soupe. Malgré tout, la notion de vouloir être le meilleur nuit énormément à la liberté d’expression.


Le sportif peut tricher. Et le comédien ?

Dans mon métier, je ne vois pas où la triche se situe. Où pourrait-elle se situer d’ailleurs ? Nous sommes des tricheurs dès le départ. Nous sommes là pour faire croire à une histoire. Nous ne sommes jamais le personnage. Nous le travaillons. Nous sommes donc, si vous voulez appeler ça ainsi, déjà dans une forme de triche.


Avec 1 heure 23’ 14’’ et 7 centièmes, à quelle histoire voulez-vous nous faire croire ?

Une histoire de gens qui travaillent ensemble, qui se sont choisis et qui, par l’intermédiaire de l’acte sportif, vont progresser. Évidemment, entre eux, ne va pas se transmettre que de la technique ; mais aussi ce qu’un homme veut dire à un autre homme, à une génération d’écart. Sur le plateau, nous n’allons pas raconter une victoire. La victoire, les gens en ont tous les jours. Avec la Coupe du Monde, il va y avoir du matos.


“Je suis bouleversé par le spectacle d’un type qui gagne une compétition.”

Par qui êtes-vous le plus fasciné ? Le vainqueur ou le perdant ?

Je suis bouleversé par le spectacle d’un type qui gagne une compétition. Car la victoire contient aussi son propre inverse et surtout, la victoire dure le temps d’une allumette. Ce sont des années de boulot pour un tour de piste où l’on partage seul son plaisir. Personne ne peut comprendre la solitude de ce plaisir. L’explosion de joie laisse immédiatement place à une explosion de solitude. Au fond, c’est incroyable comment ces mecs travaillent pour quelques secondes. Après, la médaille, tout le monde s’en fout. Certains vont l’exposer dans le salon et elle va faire chier les enfants.


Où avez-vous exposé votre Ours d’argent ?

Il sert à ma fille. Elle y accroche ses chouchous dessus.


Vous parliez de Coupe du Monde. Voyez-vous Didier Deschamps comme un metteur en scène ?

C’est une forme de mise en scène, oui. Mais il s’agit surtout d’une mise en improvisation. Il peut avoir des idées, donner des lignes directrices, mais Deschamps ne peut rien fixer. Il met en condition ses joueurs pour qu’ils improvisent le mieux possible.


“Qui est bon tous les matins en se levant ? Qui est performant tous les jours ? Personne.”

Vous comprenez…

Pardon de vous couper, mais ce que je ne comprends absolument pas, c’est comment, au moindre échec, on les tue tous. On ne pardonne rien aux champions. Ils ont mis des années à un atteindre un certain niveau et s’ils se loupent, ce ne sont que des grosses merdes. Qui est bon tous les matins en se levant ? Qui est performant tous les jours ? Personne.


Pour les sportifs, la reconversion est toujours une étape difficile à gérer. Pensez-vous à l’après ?

Beaucoup. Quand vous êtes une vedette, ralentir le moteur, le refroidir, ça se fait sur des années. Car la comédie, c’est une drogue. Si demain j’arrête, le plateau me manquera. Et en même temps, je veux le préparer. C’est un boulot. Et ce spectacle participe de ce travail-là, du moment où j’aurai fait mon chemin.


Et jusqu’à présent, votre chemin est cohérent…

Même les films qui ne font plus monter au plafond, je savais pourquoi je les faisais. Je ne regrette rien. Après s’il faut tricher à faire des films, s’il faut tricher pour en parler en promo, c’est au-delà de mes forces. Je préfère ne rien faire et rester allongé sur mon canapé. Je ne suis pas prêt à faire des choses pour la thune. C’est une chance inouïe que j’ai eue de tomber là-dedans, de me faire embarquer dans ce métier. Et je ne veux surtout pas la gâcher.


1 heure 23’ 14 ‘’ et 7 centièmes

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