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Cédric Bruneau : le bonheur se savoure dans la fraîcheur



Interview / Matthieu Stricot  * hotos / Yann Peucat pour Kostar Publié dans le magazine Kostar n°90 - avril-juin 2024


Après différentes expériences en cuisine dans plusieurs villes, Cédric Bruneau a ouvert son premier restaurant dans sa ville natale, à Rennes, en 2021. L'établissement Fezi, qui signifie “fait maison” en gallo, propose midi et soir une carte courte où règne le produit frais et local. Le tout à prix abordables et dans une salle d'une élégante simplicité. 


Après trois ans d'études en pharmacie, vous avez changé de voie en intégrant un CAP cuisine, à Limoges. Pourquoi une telle reconversion ?   

Bien que j'aimais cuisiner chez moi, je n'avais pas de passion innée pour la cuisine, ni un héritage familial dans le domaine. Mais, après trois ans d'études en pharmacie, je ne me retrouvais plus dans le cadre de longues études. J'avais besoin de quelque chose qui me motive vraiment. Mon départ à Limoges, où j'ai suivi ma conjointe, a été le facteur déclencheur. J'ai décidé d'intégrer un CAP cuisine. J'ai vite compris que j'aimais ça et ce que je voulais en faire : travailler du produit frais, élaborer des cartes courtes avec des recettes simples. 


Une fois votre diplôme en poche, vous avez tenté différentes expériences dans plusieurs villes…   

Mon expérience au Vanteaux, à Limoges, m'a vraiment construit du point de vue des méthodes de travail. Nous avons ensuite déménagé à Lille. J'y ai d'abord travaillé dans un restaurant associatif, pendant un an, et j’ai pu valider mon CAP pâtisserie. J'ai ensuite occupé la place de chef dans un bistrot de quartier. Mais j'étais tout seul et je voulais travailler avec des gens inspirants. J'ai enchaîné au Clarance Hôtel, où la cuisine était tenue par le chef étoilé Nicolas Pourcheresse. 


“J'ai apprécié de vivre des expériences différentes, en cherchant ma voie.”

Que retenez-vous de ce début de parcours éclectique ? 

J'ai apprécié de vivre des expériences différentes, en cherchant ma voie. Au Clarance Hôtel, le rythme était dur mais j'y ai rencontré la cuisine que je voulais développer : travailler avec des producteurs locaux en prêtant une grande attention aux aliments, avec un goût particulier pour les cuissons-minute. Je suis finalement rentré à Rennes, ma ville natale. Après un an au Ciel de Rennes, j'ai fait un court passage chez Holen. 


Avez-vous perçu une importante mutation des conditions de travail dans la restauration après la pandémie de Covid-19 ?   

La pandémie a permis aux gens d'enlever leurs œillères concernant leurs conditions de travail. Par conséquent, face à la pénurie de main d'œuvre, les restaurateurs sont obligés de s'adapter. On remarque un grand nombre de reconversions vers la cuisine depuis une dizaine d'années. Une de mes employées, qui occupait un haut poste de chercheuse, a tout plaqué à 40 ans, pour faire ce qu'elle aimait vraiment. 


En mars 2021, à la fin de la pandémie, vous ouvrez Fezi. Le pari d'une carte courte avec des produits ultra-locaux, avec 26 couverts. Vous attendiez-vous alors au succès qui allait suivre ?   

Je me lançais à tâtons. De mars à juin, nous avons travaillé dans des conditions un peu précaires. Mais nous avons eu l'avantage de profiter à fond de la réouverture à partir de juillet, car les gens avaient une envie débordante de sortir. Depuis, ça n'a pas désempli. D'autant plus que nous avons été récompensés, quelques mois plus tard, par le trophée « Jeune talent » décerné par le Gault & Millau. J'étais le premier surpris !


Vous concoctez vos recettes avec l'amour du terroir. Comment définiriez-vous votre cuisine ?   

C’est une cuisine du marché plutôt éphémère, car nous essayons de ne jamais reproduire ce que nous avons réalisé auparavant. C'est donc le produit qui fait la recette. Chaque lundi, je prépare mes menus pour la semaine. J'élabore souvent mes plats en partant des légumes, que je trouve au marché le samedi précédent. J'ai une appétence particulière pour la betterave. Et ensuite, selon nos arrivages de viande et selon les cours des mareyeurs. Côté viande, nous travaillons surtout du cochon car nous parvenons à travailler sur la bête entière. Dès que c’est possible, je privilégie les produits de la mer, avec un faible pour les coques. En ce moment, saison oblige, nous travaillons la coquille Saint-Jacques : crue, cuite, au barbecue ou juste brûlée au chalumeau. J’aime cuisiner le maquereau, le lieu jaune et la lotte. 


“C'est donc le produit qui fait la recette.”

Plutôt salé que sucré, donc ?   

Je travaille plus le salé, en testant au maximum différentes textures pour apporter des côtés fumés ou mettre en avant l'acidité. C'est l'une de mes collègues qui chapeaute la préparation des desserts. Mais, même de ce côté-là, nous préparons des recettes relativement désucrées, en apportant de l'acidité à travers des gels ou vinaigres condimentaires. Nous réalisons des condiments à partir de sirop issu de poires pochées. Nous récupérons les queues de fraise et noyaux de cerise pour préparer des vinaigres infusés ! Nous aimons créer des sorbets à l'essence végétale, à partir de feuilles de capucine, de fleurs de cerisier ou de sureau. 


Un grand nombre de fournisseurs sont du cru...   

La ferme Praden, à Mélesse, nous fournit en cochon. Ils sont très pédagogues et venus nous montrer des découpes sur des demi-cochons. Côté poisson, nous faisons confiance à Emmanuel Garrec, mareyeur à Loctudy (29). Côté céréales, nous apprécions le sarrasin et le malt torréfiés de Yoann Gouéry (Graine de Breton) ou encore les produits de Mathilde Simonneaux, de la Ferme de la Rocheraie. Sa semoule de maïs, produite à partir de variétés anciennes, éloignées de ce qu'on trouve chez les grossistes. Nous nous ravitaillons en légumes auprès du GAEC Bocel ou encore de la famille Boscher, à Romagné. Ces derniers travaillent des légumes racines – cerfeuils tubéreux, topinambours, salsifis, asperges vertes – qu'on ne trouve pas partout. 


Pour le reste, vous privilégiez les circuits courts... Pour quels produits ?   

Du Sud-Ouest nous parviennent les agrumes des pépinières Vessières, les fruits secs viennent de la petite coopérative Vergers du Sud-Ouest, qui produit noisettes, amandes, noix de pécan et même des cacahuètes ! Nous apprécions les vins en biodynamie de Jonathan Maunoury, en Anjou, et nous travaillons avec de nombreux brasseurs en France, à l'étranger et localement, dont la Brasserie de la Ville Porte Amour, à Plouvara (22). Nous cherchons des saveurs très différentes car nous aimons proposer des accords mets-bières !


“S'efforcer de maintenir des prix assez bas nous oblige à rester rigoureux sur le choix des produits...”

Vous proposez un menu à 19 € (entrée-plat ou plat-dessert) ou 22 € (entrée-plat-dessert) le midi, et un menu à 40 € le soir avec deux entrées, un plat et un dessert. Est-ce une volonté d’être accessible ?   

Plus on augmente ses tarifs, plus on a affaire à une clientèle exigeante. Je voulais m'émanciper de cela. J'apprécie de pouvoir accueillir un public éclectique : des très jeunes, des anciens, de tous les milieux sociaux et beaucoup de gens du quartier ! S'efforcer de maintenir des prix assez bas nous oblige à rester rigoureux sur le choix des produits, en sélectionnant de bons aliments peu onéreux et parfois négligés. 


Pour rester dans cette dynamique éco-responsable, vous avez fait le choix d'un mobilier revalorisé...   

Le comptoir a été fabriqué à partir d'anciennes palettes et les tables sont issues d'anciennes menuiseries. Nos assiettes ont été élaborées par la céramiste Michèle Brady, à Guern (56). Les tasses à café, sucriers et théières sont issus de stocks de potiers, alors que nos verres ont été conçus à partir de bouteilles de vin découpées. 


Fezi nous réserve-t-il de nouvelles surprises ?   

Pour travailler davantage avec des races locales, nous nous rapprochons de la ferme Les Trognes, à Tresbœuf, qui élève des porcs Duroc croisés Gascon. Nous voulons aussi expérimenter de nouvelles façons de travailler. En testant la fabrication de garum, une sauce de l'époque romaine et fabriquée à partir de la fermentation de chair et de viscères de poisson, comme la sauce asiatique Nuoc-mâm. Nous essayons toujours d'élargir nos horizons !  


Restaurant Fezi, 42 avenue Sergent Maginot, Rennes.



Entrée : échine de cochon fumé, houmous, rutabaga marina, pickles de radis, noisettes, moutarde et crème fumée.


Plat : lieu noir légèrement grillé, préalablement mariné dans un “leche de tigre” revisité (lait d'amande, feuilles de figuier, piment, vinaigre d'agrumes), sur un carpaccio de betterave, accompagné de blette avec une huile de poireaux, de fenouil et de coriandre. 


Plat : Cuisse de volaille désossée, grillée au barbecue, accompagnée d'héliantis, d'une purée de chou rouge vinaigrée, jus vert composé de crème de cresson et de fanes de navets.


Dessert : île flottante avec meringue vapeur et sauce anglaise au citron noir, au kiwi frais et à la pâte de kiwi.

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