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Cyril Teste : Théâtre avec vue


Interview / Patrick Thibault * Photos / Simon Gosselin Publié dans le magazine Kostar n°64 - février-mars 2019

Festen continue sa tournée jusqu’en juin et rencontre un énorme succès partout. Tout juste sorti de l’opéra Hamlet, Cyril Teste s’apprête à mettre en scène Isabelle Adjani dans Opening night, produit par Le Quai à Angers. Rencontre avant la dernière représentation de Festen à Nantes, deux jours avant de démarrer les répétitions au plateau.


Quand on voit un de vos spectacles, on est à chaque fois bluffé. Par quoi commencez-vous lorsque vous vous mettez au travail ?

J’écoute beaucoup de musique et j’attends que les images surgissent. Pour Festen, je suis entré dans la maison, j’imagine ce qu’elle sent, où sont les couloirs… Chaque fois que j’entrais, je voyais des choses arriver. J’essaie d’amener beaucoup de matière filmique. Je me suis nourri de Bergman. J’avais besoin de Fanny et Alexandre. Au commencement sera l’image !


« Le théâtre est vraiment l'art qui permet d'inviter tous les autres à sa table.

Performance filmique, c’est réducteur… Festen est un spectacle total.

Merci. En fait, j’espère simplement faire du théâtre. Je suis sensible à l’art total, comme Edward Gordon Craig. Je considère que le théâtre est vraiment l’art qui permet d’inviter tous les autres à sa table et je dirai au final que j’ai fait un tableau. Ça n’est pas du cinéma car je suis vidéaste. Ça n’est pas du théâtre filmé et on performe tous les soirs. Performance filmique, c’est un dispositif, pas un genre.


La vidéo a pris place dans de nombreux spectacles, comment avez-vous trouvé la vôtre ?

Je suis dans une grammaire cinématographique mais au théâtre, il faut reproduire chaque soir et on n’est pas certain de retrouver l’image qu’on avait réussi à saisir. C’est beau de participer à un espace auquel appartiennent aussi Katie Mitchell ou Ivo van Hove. C’est l’endroit où le cinéma est challengé au théâtre. Je fais partie de ceux qui travaillent l’image à l’oreille : il faut que l’image me parle avant de me plaire. La caméra est mon pinceau.


Quel est l’enjeu à chaque nouveau spectacle ?

Être entendu ! Il ne s’agit pas de faire mieux mais quand tu produis une œuvre, elle doit te grandir humainement. J’espère toucher et éclairer les gens sur des questions d’humanité. Ça m’impose d’être toujours sincère et de ne jamais rester sur un acquis. Le spectateur doit être face à une évidence comme s’il était devant un lac ou une montagne. On ne se demande jamais pourquoi la montagne est là et pas ailleurs. Au théâtre, ça doit être pareil.

« J’aime bien les écritures polysémiques. C’est comme un paysage, il faut y revenir plusieurs fois. »

Ne faudrait-il pas voir vos spectacles plusieurs fois pour vraiment tout voir ?

Si. D’ailleurs, j’aime bien les écritures polysémiques. C’est comme un paysage, il faut y revenir plusieurs fois et le traverser toujours autrement.


Est-ce que vous vous ennuyez lorsque vous allez voir un spectacle qu’on qualifiera de normal ?

Jamais. Vu du pont dans la mise en scène d’Ivo van Hove, c’est un volume abstrait mais on atteint des sommets avec ce théâtre-là. Pommerat aussi…


Comment passe-t-on de Festen à Opening Night ?

En fermant les yeux ! Il faut tout effacer et tout reprendre, se remettre au travail. Oui, il faut remuer et re-brasser la terre. Dans trois jours, j’attaque le plateau et c’est un sacré rendez-vous. Il me faut tirer les enseignements des spectacles précédents, y répondre en essayant d’aller plus loin.



Ça sera forcément différent de Festen…

Ça n’est pas une performance filmique. Du théâtre avec beaucoup moins d’usage de l’image. Ça n’est pas la même histoire, ça parle d’un autre sujet avec d’autres acteurs. C’est Isabelle Adjani qui m’a invité. C’est agréable de ne pas toujours être porteur du sujet.


Contrairement à Nobody et Festen, dans Opening Night, vous n’aurez aucune cause à défendre…

Au fond, le sujet c’est toujours comment on se réconcilie avec l’histoire. J’ai à chaque fois une question intime, une personne qui se remet en question et qui perd le sens de sa vie. Opening Night est la magnifique histoire d’une femme qui se bat au nom de toutes pour faire entendre que le désir n’a pas d’âge. Nous atteindrons des dimensions qui vont avoir des échos plus intimes. Dans Festen, ça n’est pas le politique, le racisme, les violences faites aux femmes qui m’ont fait décoller, c’est l’enfance.


« Isabelle Adjani est une femme d’une authenticité incroyable et peindre l’authenticité, ça n’est pas simple ! »

Comment dirige-t-on Isabelle Adjani ?

Isabelle, il faut la révéler plus que la diriger. On parle énormément. On partage, on se concerte, on prend le temps. C’est toute une construction que nous faisons ensemble car elle est très dramaturge. C’est l’histoire d’une rencontre, la muse et le peintre. Isabelle, il faut la rendre la plus libre possible à l’intérieur pour pouvoir la peindre et sortir de ce portrait une chose authentique. C’est une femme d’une authenticité incroyable et peindre l’authenticité, ça n’est pas simple !


Dans le sillage de Vinterberg pour Festen ou Cassavetes pour Opening Night, n’y a-t-il pas trop de fantômes ?

Si (rires). Je travaille souvent sur des triptyques. J’essaie de voir de manière tridimensionnelle car je ne peux pas y répondre en un seul spectacle. Ça a à voir avec comment on se libère de son passé. J’ai un grand plaisir avec ces spectacles qui ont un rapport avec le fantôme. Peut-être suis-je à une période de ma vie où il va falloir que je laisse des choses ? Le fantôme, c’est un miroir qui nous renvoie et révèle une part inaboutie de la personne.


Comment travaillez-vous avec vos interprètes ?

Je les accompagne en leur donnant les outils qui leur permettent de comprendre. Je parle et je marche avec chacun car il faut évoquer leurs sensations, leur proximité ou distance avec le sujet. Comme un osthéopathe, j’attaque des petits points de tension pour remettre le corps en place. C’est un travail d’accompagnement avec beaucoup d’écoute. “Il ne faut pas que les comédiens soient les haut-parleurs des metteurs en scène”, disait Tarkovsky. Je travaille en décor naturel pour fabriquer des souvenirs avec les comédiens. Avant de construire, je veux qu’ils se souviennent sans avoir à imaginer.


C’est la précision de la note. Une partition. Ça n’est pas pour rien si je suis sensible à Bach.

Pourquoi a-t-on le sentiment que Festen est toujours sur le fil, comme si c’était de l’horlogerie ?

C’est la précision de la note. Une partition. Ça n’est pas pour rien si je suis sensible à Bach. Je n’aime pas le débordement et il ne faut pas se rendre plus intelligent que le sujet. Je n’ai pas envie de montrer des gens qui l’ont compris. Un acteur qui a compris son sujet et son personnage montre et ça n’est pas bon. Je n’aime pas le commentaire. Je suis fan de cinéma japonais et ça doit rester élégant. Je pense aussi à la grande cuisine, aux chefs étoilés. J’y accorde de l’attention et ça m’apporte énormément de clés. Ces cuissons précises.… L’opéra m’a beaucoup appris aussi.


Voyez-vous votre avenir au théâtre, au cinéma, à l’opéra ?

Je suis sur la création d’un autre opéra. J’ai un projet de cinéma mais, pour moi, c’est toujours la même chose : ça n’a d’intérêt que si on apporte quelque chose au médium. J’ai envie de faire du cinéma seulement si je peux en faire autrement. Le théâtre, c’est mon médium, ma terre, ma toile mais l’opéra me touche particulièrement.


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