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Avignon en scène



Dossier réalisé par Vincent Braud, Patrick Thibault Publié dans le magazine Kostar n°77 - octobre-novembre 2021



Avignon reste un carrefour de la création. L’édition 2021 du festival a tenu toutes ses promesses mais surtout elle a présenté de nombreux spectacles que nous aurons l’occasion de découvrir sur la zone Kostar cette saison ou plus tard. Fraternité, conte fantastique, Kingdom, Trilogie des contes immoraux (pour Europe), Ceux qui vont contre le vent, Gulliver le dernier voyage, Y aller voir de plus près, Entre chien et loup… Belles affiches.


Le prix de la survie

© Jean-Louis Fernandez

Quatre ans après Saïgon – et cet aller-retour entre Paris et le Vietnam – Caroline Guiela Nguyen continue d’explorer le temps. Elle nous transporte dans le monde d’après. Un monde pas forcément réjouissant mais la réflexion, elle, paraît bien utile.

La catastrophe a bien eu lieu. Non, pas une pandémie, juste une éclipse et voilà que la moitié de l’humanité a disparu. La disparition n’est pas forcément la mort. Comment gérer cette disparition ? Comment faire son deuil d’un enfant ou d’une épouse ? Comment vivre après ? Au lendemain de ce drame planétaire, le monde est en pleine confusion.

Caroline Guiela Nguyen place ses survivants dans un “centre de soins et de consolation”. Ils sont d’origines et de nationalités diverses mais partagent (ou pas…) le fol espoir de voir revenir leurs disparus à l’occasion d’une nouvelle éclipse. Progrès technologiques aidant, ils peuvent toutefois leur laisser des messages. Pour exprimer l’espoir, la colère ou la rancœur. Mais voilà qu’on leur demande, pour alléger ces cœurs trop lourds qui risquent de ralentir notre planète, de sacrifier leurs souvenirs. Faudrait-il oublier pour survivre ?

Sans répondre à toutes ces questions, la fable est un plaidoyer pour l’indispensable fraternité, cet élan qui, selon Caroline Guiela Nguyen, “lance un regard, depuis le présent, vers le passé et l’avenir”. Le spectacle nous parle en fait de ce que nous vivons en cette année 2021 et c’est un coup de cœur d’Avignon 2021.

Fraternité, conte fantastique, TNB, Rennes, 23 février au 3 mars 2022.




Métaphore politique

©️ Christophe Raynaud de Lage

C’est un spectacle quasi pharaonique et il a fait sensation à Avignon cet été. Une longue performance hallucinante, des jeux de constructions et déconstructions impressionnants qui se jouent en direct devant nous. Certains avaient sans doute déjà vu Maison Mère, le premier des Contes immoraux. Phia Ménard elle-même construit ce temple grec à bout de bras en y mettant toute son énergie, sa force et sa rage. La maison est rapidement détruite par la pluie qui envahit le plateau. On a plaisir à redécouvrir cette pièce qui gagne en épaisseur et profondeur à l’heure de la pandémie et au moment où l’Europe et la démocratie sont questionnées. « Un conte de l’épreuve humaine qui ne peut rien contre les éléments », nous dit l’artiste.

Temple père, le deuxième conte, vous en met plein la vue et les oreilles. La construction de ce château de cartes obéit à des enjeux de domination et soumission. Au-delà de longue performance, bluffante, c’est pour Phia Ménard, artiste engagée s’il en est, une charge politique virulente contre le patriarcat et le libéralisme. Métaphore d’une tour phallique sans fin, un édifice du pouvoir pour une grand-messe qui se joue devant nous.

La troisième partie, La Rencontre interdite, est plus courte mais elle n’en pose pas moins de questions. Vous en sortirez ébranlés dans vos convictions et pleins d’incertitudes sur notre avenir. Le conte n’est pas seulement bon, il est puissant.

La trilogie des contes immoraux (pour Europe), du 8 au 10 octobre, Le Quai, Angers ; les 24 et 25 mars, L’Espal/Les Quinconces, Le Mans ; les 30 et 31 mars, Le Grand R, La Roche-sur-Yon ; du 28 avril au 5 mai, TNB, Rennes.



Le rêve d'un autre monde

© Christophe Engels

Si certains spectacles peuvent dérouter par leur scénographie ou leur mise en scène, Kingdom affiche la couleur d’entrée : on est bien au cœur d’un coin de campagne paisible où rien de désagréable ne saurait nous arriver. Vraiment ?

La trame de Kingdom, c’est Braguino, le documentaire de Clément Cogitore sorti en 2017. Deux familles, séparées par une clôture et de vieilles rancœurs, vivent loin de tout et de tous dans un coin perdu de la taïga. Un décor de carte postale, avec forêt de bouleaux, rivière et modeste isba comme foyer familial, des adultes, des enfants et deux chiens. On est loin pour autant de la petite maison dans la prairie.

Si Anne-Cécile Vandalem s’est inspirée du film de Cogitore, ce n’est pas d’une adaptation dont il s’agit. Le cinéma, selon elle, ne peut échapper à la réalité qu’il décrit alors que le théâtre permet d’extrapoler. Au-delà de la querelle artistique, tous deux nous parlent du monde de demain. Et le font par la voix des enfants. Car les enfants ne tarderont pas à bousculer le monde des adultes pour se donner un peu d’air.

En choisissant de fuir un vieux monde qui s’écroule, en croyant échapper à ses contraintes et jouir d’une liberté inespérée, ne ferions-nous pas un “impossible rêve” ? Les enfants n’ont que faire de l’effondrement du rêve marxiste ou du capitalisme, ils revendiquent le droit de toucher cette “inaccessible étoile” que chantait Brel. Histoire de ne pas se résigner au pire.

Kingdom, Le Quai, Angers, 9 au 12 novembre.



Un spectacle en éclats

© C. Raynaud de Lage

Ils sont sept sur le plateau. Et Nathalie Béasse semble leur avoir donné quartier libre pour nous faire partager leurs émotions. S’en suit un spectacle qui fait voler la danse en éclats jusqu’aux éclats… de rire du tableau final.

Nathalie Béasse se définit volontiers comme une artiste “indisciplinée”. Jamais elle ne choisira entre danse, théâtre et arts visuels. Ce qui l’intéresse, ce sont les images et les émotions que suscitent ces corps en mouvement et les situations qu’ils provoquent. Ils sont sept, dans cette nouvelle création, pour un étrange jeu de famille.

Avant même d’entrer sur le plateau, la tribu de Ceux-qui-vont-contre-le-vent discute, se toise et s’engueule sans qu’on sache très bien pourquoi. Un peu plus tard, ils liront, ou tenteront de lire, les mots qu’ils ont écrits. La tension est palpable entre “le désir de raconter” et “la difficulté à dire des choses”, comme le dit Nathalie Béasse. Au risque, pour le spectateur, de se sentir étranger à ce qui se passe sur le plateau.

Si certains artistes revendiquent le “je”, Nathalie Béasse, elle, préfère le “jeu” et son parcours en témoigne. Un jeu qui semble innocent (comme ces ballons que l’on crève) mais qui s’achève sur une note rouge sang.

Ceux-qui-vont-contre-le-vent, Le Quai, Angers, 30 novembre au 4 décembre ; Le Grand R, La Roche-sur-Yon, 4 janvier ; Théâtre, Lorient, 2 et 3 mars.



L'heure du rêve

© Christophe Raynaud de Lage

Ce que font Madeleine Louarn et Jean-François Auguste avec les comédiens de la Compagnie Catalyse est, une fois de plus, bouleversant. Après Ludwig un roi sur la lune et Le Grand Théâtre d’Oklahama, ils sont revenus à Avignon en adaptant le troisième chapitre des Voyages de Gulliver. Le texte relève du conte philosophique sur la folie du monde moderne. Il est parfait pour les comédiens en situation de handicap. Madeleine Louarn et Jean-François Auguste ont fait en sorte qu’ils inscrivent leurs mots aux côtés de ceux de Jonathan Swift. Les comédiens de Catalyse apportent une dimension supplémentaire au texte. Ils nous font emprunter des chemins insoupçonnés lorsqu’il s’agit d’évoquer nos fragilités collectives et individuelles. C’est un spectacle tout public ! On se réjouit que Catalyse et L’Entresort soient devenus Centre National pour la Création Adaptée, hébergé au sein du SEW, le nouveau lieu culturel au sein de l’ex Manufacture de Morlaix.

Gulliver, Le dernier voyage, du 2 au 6 octobre, Le Sew, Morlaix ; les 7 et 8 décembre, Le Quartz, Brest ; du 12 au 21 mai, TNB, Rennes.



Au bout de la non danse


© Christophe Raynaud de Lage

Maguy Marin est pour tout un chacun l’une des plus grandes figures de la danse contemporaine. Mais il faut bien avouer que son retour à Avignon a déçu. En effet, Y aller voir de plus près n’est pas un spectacle de danse. Il faut le prendre pour un témoignage, le cri d’une femme qui s’interroge sur la violence, ses origines et sa récurrence. Si l’on y retrouve l’engagement, on peut être surpris et dérouté par la forme du spectacle. Inspirée par La guerre du Péloponnèse de Thucydide (ça ne rajeunit personne !), elle crée une métaphore très lointaine de ballet avec des hommes et des femmes qui endossent des costumes, manipulent des objets et se déplacent en suivant des écrans. Le spectacle relève du théâtre et du documentaire. Il est bavard et didactique. Le parallèle avec Phia Ménard n’est pas en faveur de Maguy Marin et c’est peu dire qu’on croule sous le poids des mots.

Y aller voir de plus près, du 16 au 20 novembre, Festival TNB, Le Triangle, Rennes ; du 24 au 26 novembre, Théâtre, Lorient ; les 5 et 6 avril, L’Espal, Le Mans.



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