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Avignon en scène


Dossier réalisé par Vincent Braud et Patrick Thibault

Typographie / Didier Moreau pour Kostar


Les questions de société se sont – une fois encore – invitées au Festival d’Avignon. Les histoires individuelles ont raconté la grande et le public a montré qu’il était curieux. Après l’été, le festival se poursuit en salle avec la programmation de nombreux spectacles, ici, près de chez nous. Kostar les a vus et vous en parle. Histoire de rester sur le pont.


L'appétit d'Europe

© Sebastiaan Stam

“Vous cracherez peut-être sur notre insouciance passée et vous aurez raison…” À peine assis, nous voilà renvoyés à une histoire, celle de l’Europe, dont nous avons quelques raisons de ne pas être fiers. L’enjeu ? Juste “un continent à inventer”.


Laurent Gaudé ne nous épargne rien de l’Histoire mouvementée d’un continent qui s’est longtemps déchiré. De l’Europe coloniale qui se partage le continent africain à ces millions de morts des conflits du XXe siècle, de la Pologne de Walesa au sacrifice de Jan Palach, en passant par 1968 et le Sangatte de ce début de siècle, le tableau est souvent sombre. Comment croire encore à l’Europe ?

Sur scène, des comédiens européens. Ils/elles parlent indifféremment français ou anglais, italien, portugais ou polonais mais se comprennent. Ils/elles crient leur colère et leur révolte, leur envie de “cracher” sur les noms de ceux qui ont sali cette idée d’Europe. Car des “indésirables” des années 30 aux réfugiés de 2019, ce sont les mêmes qui décident. Alors la colère gronde, ponctuée d’un riff rageur d’une guitare, du martèlement des percus et de la voix rageuse de Karoline Rose.

Au texte de Laurent Gaudé répond la mise en scène de Roland Auzet. Le résultat ? Un spectacle dont on se souvient. Parce qu’il y a ce déluge de mots et ce rythme infernal qui l’accompagne. Si la jeunesse exprime sa colère devant le spectacle du monde, elle crie aussi son envie d’Europe. Et tout le monde, au final, a envie de partager, sur le plateau, cet espoir d’un lendemain qui chante.


Nous, l’Europe, Banquet des peuples, Le Théâtre, Saint-Nazaire, 5 et 6 mars 2020.


(Re)bâtir un monde

© Christophe Raynaud de Lage

L’histoire d’une famille qui éclate, dans un flot de haine et de rancœur, ou celle d’un monde incapable d’éviter un naufrage annoncé ? Les deux, bien entendu. Avec Architecture, Pascal Rambert a jeté, début juillet, un joli pavé dans la mare du dernier Festival d’Avignon. Et il l’a fait avec talent.


Tout commence par un énorme coup de gueule : Jacques (Weber) n’a pas du tout aimé que l’un de ses fils gâche sa remise de décoration. La consécration d’une carrière professionnelle perturbée par les borborygmes de Stan. Les règlements de comptes peuvent commencer dans une famille où le père a toujours régné en maître. Et la belle façade ne va pas tarder à se fissurer. Irrémédiablement. À l’image d’un continent, l’Europe, lui aussi à la dérive.

La force du texte de Pascal Rambert est d’évoquer, de disséquer les drames sans nous faire un cours d’Histoire. Lorsque les uns et les autres ouvrent les yeux, il est déjà trop tard. “Personne n’écoute plus personne… le corps social est malade… la folie du monde attaque le corps intime…” Toute ressemblance avec notre époque n’est pas vraiment fortuite. La mort et le deuil, les corps meurtris et les larmes apparaissent dès lors comme autant de conséquences logiques.

Oui, le texte de Pascal Rambert est long. Oui, il nous rappelle ce que nous savions déjà. Ce que nous aimerions oublier faute de pouvoir le conjurer. Sans doute une distribution magistrale (Emmanuelle Béart, Audrey Bonnet, Anne Brochet, Marie-Sophie Ferdane, Arthur Nauzyciel, Stanislas Nordey, Denis Podalydes, Laurent Poitrenaux, Jacques Weber) a-t-elle alimenté une envie d’en découdre. Avec cette bataille d’Architecture, voilà un (autre) rappel bienvenu : le théâtre reste un spectacle vivant. Pascal Rambert et les comédiens ici réunis y contribuent fort heureusement.


Architecture, TNB, Rennes, 26 septembre au 5 octobre.



Exil pluriel


Quais de seine © Simon Gosselin

La question de l’exil et des exilés s’invite abondamment au Festival d’Avignon. Elle habite et traverse deux spectacles pourtant très différents sur le fond et la forme : Points de non retour (Quais de Seine) d’Alexandra Badea et Sous d’autres cieux de Maëlle Poesy.


Dans le premier, la Française d’origine roumaine évoque le massacre des Algériens du 17 octobre 1961 à Paris. Elle tente de réparer la mémoire pour reconstruire le présent dans un spectacle qui se cherche un peu. Sous d’autres cieux est une adaptation libre de L’Énéide, le voyage initiatique chanté par Virgile. Même si, ici encore, les morts parlent aux vivants, voilà deux salles, deux ambiances… La forme est plus classique, les comédiens déclamaient et peinaient encore cet été à trouver leur place dans ce récit fleuve. Dans ces deux spectacles où le passé ressurgit dans le présent, l’exil est un entre-deux-mondes peuplé d’apatrides.


Sous d’autres cieux, Le Théâtre, Saint-Nazaire, 25 et 26 mars.

Points de non retour (quais de Seine), lieu unique, Nantes, 22 et 23 janvier.



Un prince en Avignon


© Guillaume Malichier

Golaud sauve Mélisande, perdue dans la forêt et il l’épouse. Mais tout se gâte lorsque Mélisande rencontre Pelléas, le frère de son prince de mari. C’est cette pièce de Maeterlinck que Julie Duclos a choisi de présenter. Merci à elle.


L’histoire d’un prince présentée en Avignon ? Julie Duclos n’y a pas songé un instant. C’est “la force poétique” du texte de Maeterlinck qui l’a séduite. Et puis, il y a cette histoire, intemporelle, d’exil, d’amour tragique et de violence. Loin des classiques drames bourgeois. Pour sa première création au Festival d’Avignon, Julie Duclos reste fidèle à une démarche, personnelle et contemporaine, associant théâtre et vidéo. Habilement, elle restitue ainsi le rapport au temps et à l’espace. La lecture, à deux niveaux, devient évidente et accentue, si besoin était, la poésie du texte. n Servi par une jeune et talentueuse distribution, ce Pelléas et Mélisande fut l’une des belles surprises du festival 2019. Un bien beau moment de théâtre.


Pelléas et Mélisande, TNB, Rennes, 4 au 8 février.



Paroles de femmes


Désobeir © Axelle de Russé

Sur scène, quatre jeunes femmes. Elles s’attaquent, sans un mot, à un mur noir pour y graver, avec rage, en lettres capitales : RIEBOSED. Le graffiti claque son évidence lorsqu’elles se prennent en selfie devant ce décor mutilé. Le spectacle peut commencer.


Avec le poids de leur éducation et de leurs parcours respectifs, elles sont venues de Kabylie, de Turquie, du Maroc et d’Iran et nous parlent de leurs racines et de cette nécessité de désobéir pour vivre. Tout simplement.

Et rien n’est simple pourtant. Il y a la famille et les traditions, l’éducation et la religion… et la place encore trop souvent réservée à la femme dans la société. Avec elles, Julie Berès a tricoté un spectacle époustouflant d’énergie et de fraîcheur, de drôlerie et d’émotion. Chacune raconte son histoire. Avec ses mots, son émotion, sa colère aussi et son chemin vers un peu de liberté. Il y a ces mots mais aussi la musique et la danse pour illustrer ces tranches de vie qui nous renvoient à notre propre culture, à notre propre regard sur l’autre et, plus spécifiquement, sur la femme. Mais, pour ces jeunes femmes, c’est bien souvent la double peine : elles restent des étrangères et sont confrontées au regard patriarcal ou tout simplement machiste de la société.

Dans cette nouvelle “pièce d’actualité”, Julie Berès reste fidèle à une écriture sobre et efficace. Avec ses complices (Kevin Keiss, Alice Zeniter…), elle confirme la place qu’elle occupe dans un théâtre d’aujourd’hui. Elle est, ici, servie par un quatuor d’interprètes remarquables. Avec une mention particulière pour une Sephora Pondi qui arrache tout.


Désobéir, Scènes du Golf, Vannes, 5 novembre ; Théâtre, Auray, 7 novembre ; La Maison du Théâtre, 13 février, Brest ; Le Carré, Château-Gonthier, 10 mars ; Théâtre de Cornouailles, Quimper, 17 et 18 mars ; Le Grand T-TU, Nantes, 23 au 26 mars.



Régions sur un plateau


Kostar avoue ne pas courir le festival de comédies potaches qui gangrènent le off d’Avignon. Une fois celles-ci écartées, il reste de belles surprises dans cette autre programmation.


Désobéir, à La Manufacture, lieu co-programmé par nos amis du CPCC et L’Aire Libre à Rennes (texte ci-contre). Au Gilgamesh, on a retrouvé Pronom, l’adaptation d’une pièce de la Britannique Evan Placey par Guillaume Doucet, une histoire d’amour entre deux lycéens qui plaît beaucoup aux jeunes spectateurs.

Si la Région des Pays de la Loire était nomade avant de retrouver un lieu l’an prochain, elle n’en a pas moins accompagné plusieurs compagnies. L’Ambition d’être tendre, spectacle de danse très esthétique pour cinq danseurs en transe s’est offert le luxe de remporter le coup de cœur des spectateurs du off. Succès total et mérité pour Guerre et si ça nous arrivait ?, le court spectacle (35 mn) mis en scène par Laurent Maindon. Succès aussi pour Soyez vous-même dans lequel le Théâtre du Fracas donne une version too much des ressources humaines dans l’entreprise. Belle interprétation du Bourgeois gentilhomme par la cie La Fidèle idée. Sans oublier l’émouvant et juste Tony, spectacle dans lequel Hervé Guilloteau évoque une amitié entre deux garçons dans la campagne de Loire-Atlantique au milieu des années 80 (en tournée avec Le Grand T, 18 octobre au 11 décembre).



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