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Alexandre Couillon : carte blanche pour un chef


J’ai voulu réduire l’espace entre La Marine et l’océan pour faire corps avec ce que je travaille. J’ai besoin d’être un chef actif. J’ai un respect énorme pour mes poissons. Je pratique le plus possible l’ikejime qui consiste à tuer les poissons vivants pour ne pas les faire souffrir et chasser les toxines. Ce n’est pas par snobisme, c’est une philosophie du poisson.

Interview Patrick Thibault * Photos / Laurent Dupont, extraites de Marine et Végétale Publié dans le magazine Kostar n°53 - décembre 2016-janvier 2017

Quand on a découvert Alexandre Couillon en 2012, on a tout de suite compris que le chef de La Marine à Noirmoutier tutoierait les étoiles. Le voilà élu cuisinier de l’année 2017 par le guide Gault et Millau. Pour le numéro des dix ans, on aime l’idée d’une carte blanche

à ce créateur d’exception qui coïncide avec la sortie du livre Marine et végétale qui lui est consacré.


Quel est le but de ce livre, Alexandre Couillon, Marine et végétale ?

J’ai eu plein de propositions mais on n’était pas prêts. Je n’étais pas chaud pour un livre de recettes, il y en a suffisamment. Mais l’an passé, j’ai eu 40 ans. J’ai eu l'envie d’un objet qu’on pourrait transmettre. Un témoin pour montrer ce qu’on a fait depuis toutes ces années avec mes proches, mes enfants, mon équipe d’hier et d’aujourd’hui. J’ai rencontré le photographe Laurent Dupont qui préparait Le prolongement du geste. J’ai aimé son œil décalé et différent. C’était parti.


Cuisinier de l’année 2017 pour Gault et Millau, qu’est-ce que ça signifie pour vous ?

C’est évidemment une belle récompense pour notre travail. On est reconnu sur la scène gastro. Quand j’avais quinze ans, je regardais qui serait le chef de l’année. Il y a eu les Michel Bras, Marc Veyrat… Olivier Roellinger et aujourd’hui, c’est notre tour. Je suis un parmi plein de talentueux. C’est une belle visibilité mais de couronnes de lauriers, on ne fait pas des arbres. On savoure mais on garde les deux pieds sur terre.


“C’est très compliqué aujourd’hui de sortir des codes et des carcans.”

Depuis qu’on a découvert votre cuisine, on est convaincu d’une forte montée en puissance, en étiez-vous conscient ?

Non, c’est avec des gens comme vous qui ont un regard différent qu’on a compris. On a choisi de faire vingt couverts pour une cuisine de produits frais de qualité. On joue sur la simplicité et la sincérité. On a vu la tête des gens qui ont compris notre différence. Quand j’ai créé l’Erika, les gens m’ont dit : « Tu vas construire un plat sur une catastrophe naturelle, mais tu es fou ». C’est très compliqué aujourd’hui de sortir des codes et des carcans. Dans une cérémonie, tout le monde est en noir avec une chemise blanche. Mais si tu es bien dans tes baskets, pourquoi pas ?


Comment fait-on pour être à la fois à la pointe d’une île, presque au bout du monde et en même temps à la pointe de la cuisine ?

C’est vrai que c’est bizarre. Quand j’appelle un ami chef qui a une grande maison à Paris, il me dit j’ai quinze couverts. Et moi, à Noirmoutier, j’affiche complet. Autrefois, on s’attablait pour bien manger. Maintenant on vient aussi pour le chef et l’effet médias a été considérable. De la même manière qu’on a compris qu’il y avait aussi des chefs en Amérique latine ou dans les pays de l’Est, on a compris qu’il fallait aller à leur rencontre. Et moi, je veux rester sur mon île.


Côté maîtres, on pensait Guérard et le livre nous parle de Georges Paineau…

J’aime la vision et l’énergie de Guérard qui ne s’arrête jamais. Il construit, il pense à demain. Mais la grosse claque, c’est Monsieur Paineau à Questembert. Il avait fait les Beaux-Arts, travaillé chez Fernand Point. C’était un chef très décalé, daltonien. Je lui donnais les couleurs, c’était un peintre. Souvent je dis à des chefs qu’ils n’ont rien inventé. Il faisait des accords terre-mer bien avant les autres. Je suis resté deux ans et demi chez lui. Les rencontres, ce sont les gens qui vous nourrissent.


“Faire un livre pour les pros ? Non merci.”

Le livre tendrait à nous dire qu’on peut facilement réaliser la cuisine d’Alexandre Couillon…

Mais oui, parce qu’on va le comprendre. Quand Jacky Durand, l’auteur, est venu, il a raconté ce qu’on lui a dit et ce qu’il a vu. Parfois c’est trop moi qui dit « Ça, ça me fait chier ». Quand on est rendu à ce stade, qu’on cuisine tous les jours, c’est bien une obsession. Je me suis dit, pondre des recettes hyper techniques, je ne vois pas l’intérêt. Faire un livre pour les pros ? Non merci. Je n’apprends rien, je n’ai pas à apprendre. Un livre pour les clients ? Oui.


La Marine, c’est Alexandre Couillon mais c’est aussi un couple avec Céline, votre épouse…

Elle gère beaucoup de choses, la salle, les papiers, nos filles. Elle a son univers et dit toujours ce qu’elle pense. Nous avons une grande confiance en l’autre et une liberté de nous exprimer tous les deux. Je n’empiète pas sur la salle. On n’est pas d’accord sur tout, disons qu’elle ralentirait mon côté excentrique. Nous avons construit cette histoire ensemble. On arrêtera un jour mais on ne veut pas avoir de regrets. Alors, pour l’instant, on va au bout de nos envies, avec notamment l’hôtel en juin prochain pour apporter un confort différent.


Votre volonté, c’est toujours étonner ?

Étonner par le bling bling, non. Étonner par le plaisir, oui. En ce moment, je fais les dédicaces et j’écris « La vraie cuisine, c’est une cuisine honnête, sincère et franche ». Il faut que les gens soient heureux. Un repas, c’est un moment de partage. Je veux une nappe, mais qu’on se marre si on en a envie. Chez nous, les clients, ils oublient.


Restaurants La Marine et La Table d'Élise, L'Herbaudière, Noirmoutier-en-l'Île

Alexandre Couillon, Marine et végétale, textes Jacky DuranD, photos Laurent Dupont, Les Éditions de l'Épure


Cette cueillette sauvage des pommes de pin dans les dunes pour alimenter le petit barbecue, c’est un rituel partagé avec l’équipe. Ici, à Noirmoutier, j’ai la chance d’avoir le nez dans la mer et d’être entouré de bois et de végétation. Si on n’avait que des côtes et des dunes à perte de vue, il manquerait quelque chose.

Foin et peau de lait à la sauge. Deux univers qui se rencontrent. La peau de lait qu’on a décidé de récupérer et de faire sécher. Puis les retrouvailles avec les odeurs du foin, juste coupé, frais, puissant, boisé. Le souvenir d’une famille d’accueil avec qui j’ai partagé le quotidien de la ferme. Ça a fait match.

Chaque matin, lorsqu’on ouvre la maison, je vais en salle et on expose la journée à travers ces trois fenêtres. Si on ne voyait pas cette saisonnalité, ce climat, ça serait compliqué. Ce visuel est fondamental.

J’ai voulu réduire l’espace entre La Marine et l’océan pour faire corps avec ce que je travaille. J’ai besoin d’être un chef actif. J’ai un respect énorme pour mes poissons. Je pratique le plus possible l’ikejime qui consiste à tuer les poissons vivants pour ne pas les faire souffrir et chasser les toxines. Ce n’est pas par snobisme, c’est une philosophie du poisson.

Betteraves et chou-fleur fumé aux aiguilles de pin, mûres. Au début, on mettait une queue de homard sur ce plat. Un jour, un client m’a demandé pourquoi le homard. J’ai compris qu’on pouvait articuler un plat avec uniquement du végétal. C’est beau, c’est bon et il ne faut pas oublier le bon. C’est bien de se nourrir des clients aussi.


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